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le point périlleux. Je comprends très bien, et j’ai souvent accepté moi-même avec joie, avec orgueil, ce rôle, cet office de la critique en tant qu’elle sert la poésie :

Nous tiendrons, pour lutter dans l’arène lyrique,
Toi la lance, moi les coursiers !


Il y a lieu, en de certains momens décisifs, à cette critique auxiliaire, explicative, apologétique ; c’est quand il s’agit, comme cela s’est vu dans les années de lutte de l’école poétique moderne, d’inculquer au public des formes inusitées, et de lui faire agréer, à travers quelques ornemens étranges, les beautés nouvelles qu’il ne saluerait pas tout d’abord. Mais ce rôle d’urgence pour la critique n’a qu’un temps ; il trouve naturellement son terme dans le triomphe même des œuvres et des talens auxquels cette critique s’était vouée. Elle redevient alors ce qu’elle est par essence et ce qu’implique son nom, c’est-à-dire un témoin indépendant, au franc parler, et un juge.

Or, c’est aussi ce que pardonne le moins la poésie, surtout quand elle se croit des droits de voisinage et de haut ressort. Ce qui résulte souvent de colère et de rancune pour une simple première discussion modérée et judicieuse est inimaginable, et la critique elle-même alors, quand elle récidive, a fort à faire pour ne pas se laisser gager aux mêmes irritations. Plus d’un prosateur devient parfois poète en ce point. Il y a, voyez-vous, dans ces haines de poètes à critiques, une finesse, une qualité d’acrimonie, dont les querelles et les animosités politiques, j’y insiste, ne sauraient donner aucune idée. C’est emporté, c’est aveugle, c’est grossier, c’est subtil, c’est irréconciliable. « La férocité naturelle fait moins de cruels que l’amour-propre, » a dit La Rochefoucaud. La Revue des Deux Mondes trouve occasion de vérifier ce mot aujourd’hui ; elle en prend acte à son honneur. Tous les poètes et rimeurs critiqués confessant naïvement leurs griefs, ont été les premiers, dans la bagarre présente, à se soulever, à prêter leurs noms, à venir se faire inscrire à la file comme témoins à charge, même les malades, dit-on, même les infirmes (ceci est affligeant à toucher, mais on nous y force), et l’on nous assure que, pour jeter sa pierre, le plus clément, le plus chevaleresque, le plus contrit de tous lui-même a marché. Qu’y a-t-il là pourtant qui doive étonner ? un poète dont on a critiqué un sonnet ou un poème épique, comment pardonnerait-il jamais cela ?

Ce fut donc (nous revenons à notre petit récit) une époque vraiment