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essaieront d’en apprécier aussi nettement qu’il nous sera possible toute la portée.

Entre le parti modéré, et le parti progressiste, la réforme a déterminé une vraie rupture de principes, et c’est à dessein que nous employons une telle expression ; car, depuis la révolution de 1833, c’étaient jusqu’ici les passions et non point les idées qui avaient divisé en deux fractions à peu près égales le libéralisme espagnol. Comme le parti modéré, le parti progressiste avait réformé ou plutôt aboli la constitution de 1812 ; comme le parti progressiste, le parti modéra avait voté et juré la constitution, de 1837 ; au nom de cette constitution, ils s’étaient unis tous les deux, pour renverser Espartero. En vain, à diverses époques, ils se sont l’un l’autre persécutés, exilés, décimés ; si l’on met à part la loi des ayuntamientos, — et encore, sur cette loi même, les plus éclairés et les plus sincères sont-ils des deux parts bien près de s’entendre, — vous ne trouveriez pas, de 1837 à 1844, en religion, en politique, en administration, une seule question importante qu’ils aient voulu résoudre de différentes manières. On les voit bien qui tour à tour s’exaltent et s’entrebattent ; mais quand on regarde, un peu au-dessus de cette mêlée furieuse des intérêts privés et des ambitions personnelles, c’est toujours le même drapeau que l’on aperçoit. A. dater du jour où la réforme a été proposée aux cortès, à dater du jour surtout où le congrès a retranché de la loi fondamentale le fameux préambule qui donnait la volonté du pays pour force principale à la royauté d’Isabelle ; la division des deux partis est devenue plus profonde ; désormais irréconciliables, ils ont senti, du moment où a commencé la grande querelle des idées, s’accroître leurs haines et s’enflammer leurs passions. Chacun des deux est retranché dans son camp ; plus d’espoir de coalition ni d’armistice : chacun des deux a maintenant son drapeau, d’un côté la charte de 1844, de l’autre la charte de 1837. Exclu du pouvoir et des chambres, privé de toute participation aux affaires,.dispersé en Europe, quelle détermination prendra le parti progressiste ? À cette question nous répondrons avec franchise ; nous croyons, pour notre compte, que le moment est venu pour ce parti de se diviser lui-même une seconde fois en deux grandes fractions ; ce ne sera plus, comme sous le comte-duc, en progressistes purs et en espartéristes ; le temps est passé des querelles de personnes et des ressentimens particuliers. L’une de ces fractions devra être un parti d’opposition légale ; il s’efforcera de triompher par les discussions de la presse et par celles de la tribune ; il sera la gauche de l’Espagne, si l’on peut établir une certaine comparaison entre les partis français et les partis de la Péninsule ; il aura pour chef les hommes qui jusqu’à ce jour ont mené le parti du progrès tout entier. La seconde fraction sera inévitablement révolutionnaire ; dans ses rangs iront se confondre la plupart des espartéristes, quand il leur sera bien démontré qu’il n’y a point, de restauration possible pour le duc de la Victoire ; pour la première fois en Espagne, il sera question de réformes radicales. Cette fraction est aujourd’hui sans chefs, et pour le moment il est hors de doute qu’elle ne peut avoir de sérieuses chances de