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Les violence contre M. Thiers ont fait oublier les coups dirigés contre la royauté et la constitution.

Si la prose de M. de Lamartine a obtenu les suffrages ministériels, elle a rencontré ailleurs des critiques sévères, mais justes. La France a beaucoup d’indulgence pour ses poètes. Elle pense qu’il faut pardonner beaucoup à ces ames d’élite, trop dédaigneuses de ce monde pour le bien connaître : esprits malades, souvent victimes de leur propre grandeur, car le ciel, en les touchant de la flamme divine, leur a donné l’orgueil, source de mécontentement, d’erreur et d’injustice. Aussi, les égaremens des poètes excitent communément chez nous, plus de pitié que de colère. Cependant, lorsque les poètes font de la politique, il convient de ne pas leur laisser prendre de trop grandes licences ; lorsqu’ils veulent diriger les états, lorsqu’ils se sont orateurs ou publicistes, il est bon de les rappeler de temps en temps à la raison, s’ils s’en écartent, et d’oublier leurs poésies pour ne s’occuper que de leurs manifestes ou de leurs discours.

Les amis de M. de Lamartine ont répété souvent qu’il est animé des meilleures intentions ; qu’il veut l’ordre, le règne des lois, le respect du pouvoir ; qu’il veut l’honneur et l’intérêt du pays ; qu’il veut la paix, que tous ses sentimens sont nobles et élevés ; qu’il est au-dessus des petites passions de la politique, qu’il ne ressent ni jalousie ni haine, qu’il est incapable de commettre volontairement une injustice. En effet, les mâts de patriotisme, de loyauté, de désintéressement, sont souvent dans la bouche de M. de Lamartine : nous voulons croire qu’ils sont aussi dans son cœur ; mais alors, s’il en est ainsi, comment se fait-il que M. de Lamartine ait écrit son manifeste ?

Quoi ! M. de Lamartine veut l’ordre, et il provoque l’esprit révolutionnaire ; il veut le règne des lois, et il demande la réforme des lois fondamentales qui ont été votées depuis quatorze ans ; il veut que le pouvoir soit respecté, et il attaque le trône ; il veut le bien et l’honneur du pays, et son patriotisme ne s’émeut pas devant les désaveux de Taïti, devant l’indemnité payée par la France à M. Pritchard, devant l’humiliation et le découragement de notre marine, devant les éventualités funestes dont nous sommes encore menacés. Son patriotisme ne s’émeut pas devant la guerre du Maroc ; ni le plan de notre expédition communiqué à M. Peel, ni les engagemens pris avec le cabinet anglais touchant la conduite de la guerre, ni la paix conclue sans indemnité et sans garanties sérieuses, ni l’abandon de l’île de Mogador avant les ratifications du traité : rien de tout cela n’émeut M. de Lamartine. Que faut-il donc pour allumer la colère du noble poète ? Une seule chose : parler du centre gauche et de son illustre chef, M. Thiers ! On dit que M. de Lamartine veut la paix ; mais en aucun temps le centre gauche, ou l’opposition constitutionnelle, ou ce prétendu parti de la guerre, dont M. de Lamartine ressuscite le fantôme, n’ont agité un drapeau aussi menaçant pour la paix du monde que celui du manifeste de Mâcon ? Les frontières du Rhin et des conquêtes sur les bords de la Méditerranée, quels projets pacifiques ! Parlez-nous, à côté de cela, des gens d’esprit qui font résonner le talon