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et qu’il proposait en outre d’interner Abd-el-Kader dans une ville de la côte, en le laissant sous la garde des Français ? Serait-il vrai que ces conditions, envoyées en toute hâte par le général Lamoricière au maréchal Bugeaud, seraient ’arrivées lorsqu’il n’était plus temps, et lorsque la signature de nos plénipotentiaires venait d’engager la France ? Serait-il vrai qu’en apprenant cette précipitation fatale et ses déplorables résultats, le maréchal, dont on connaît les nobles susceptibilités et le langage énergique, n’aurait pu retenir l’expression d’un mécontentement amer ? Un barbare humilié par nos armes aurait compris mieux que nos ministres les réparations qu’il devait à la France ! Il aurait eu de nous une plus haute idée que nous-mêmes ! L’acceptation de ses offres eût placé notre diplomatie au niveau de notre flotte et de notre armée.

Quand on songe à la rapidité des coups dirigés par le prince de Joinville et le maréchal Bugeaud contre l’empire du Maroc, quand on se rappelle l’effet produit sur Abderrhaman par la prise de Mogador et la bataille d’Isly, ces bruits qui se répandent, et qui inquiètent si vivement le cabinet, n’ont rien qui puisse étonner. Le pays les apprendra avec douleur. L’opposition, quels que soient les avantages qui puissent en résulter pour elle, sera la première à en gémir Il est triste d’avoir à condamner un ministère pour des fautes irréparables, dont la dignité et l’intérêt du pays peuvent souffrir pendant long-temps. On ne peut se féliciter, en pareil cas, d’avoir raison.

La discussion des affaires d’Afrique pourra provoquer dans les chambres des éclaircissemens sur la situation des nouveaux comptoirs fondés sur la côte, établissemens vantés par les journaux du ministère par la politique du 29 octobre, paraissent avoir une destinée bien fragile et bien précaire. S’il faut en croire des correspondances que la précision des détails recommande à l’attention des hommes politiques, ces établissemens ne présentent aucune condition de stabilité ; ils sont insalubres, les lieux sont mal choisis ; quant aux constructions, elles offrent un aspect dérisoire, elles s’écroulent avant d’être offrir quelque utilité : c’est le Gabon ; mais les Anglais, venus dans le voisinage, ont pris une position plus forte, qui nous domine en temps de guerre. Les chambres feront bien d’examiner avec soin cette question des nouveaux comptoirs d’Afrique ; elles devront exiger sur ce point des renseignemens précis. L’expérience a déjà montré combien de maux pouvaient sortir de ces entreprises hasardées, dont le moindre inconvénient est de grever le trésor pour satisfaire la gloriole d’un cabinet, en éblouissant la majorité.

Il paraît décidé aujourd’hui que la promotion de pairs annoncée pendant trois mois n’aura pas lieu ; la nomination isolée de M. le comte Jaubert semble indiquer à cet égard la détermination prise par le cabinet. Ainsi se révèlent les inquiétudes que donnent au ministère les dispositions nouvelles du parti conservateur. La crainte de perdre quelques voix dans la majorité par suite de quelques élections partielles empêche le cabinet de tenir sa promesse