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MADEMOISELLE DE LA SEIGLIÈRE.

vers Hélène ses deux bras tout grands ouverts, venez, que je vous presse sur mon cœur. Ah ! que je savais bien, ajouta-t-elle avec effusion, en couvrant de baisers le front et les cheveux de Mlle  de La Seglière, que je savais bien qu’entre l’opulence et la pauvreté votre belle ame n’hésiterait pas ! Mon fils, embrassez votre femme ; ma fille, embrassez, votre époux : vous êtes dignes l’un de l’autre.

Ainsi parlant, elle avait doucement attiré Hélène vers le jeune baron, qui lui baisa la main avec respect.

— Vous les voyez, marquis, reprit-elle d’un air attendri ; vous voyez leurs transports. Dites maintenant, eussiez-vous un cœur d’airain, une ourse vous eût-elle allaité au berceau, dites si vous aurez le courage de briser des liens si charmans ? Ce n’est plus seulement de votre gloire qu’il s’agit désormais, c’est aussi du bonheur de ces deux nobles créatures.

— Ma foi ! se dit le marquis, dont nous renonçons à peindre la stupéfaction, si j’y comprends quelque chose, je veux que la baronne ou la peste m’étouffe.

— Monsieur le marquis, dit Raoul en faisant vers lui quelques pas et en lui tendant une main loyale, les révolutions ne m’ont laissé que peu de chose de la fortune de mes pères, mais le peu qui m’en reste est à vous.

— Monsieur de Vaubert, dit Hélène, c’est bien.

— Magnanimes enfans s’écria la baronne. Marquis, vous êtes ému. Vos yeux s’humectent ; une larme a roulé sous votre paupière. Pourquoi cherchez-vous à vous défendre de l’attendrissement qui vous gagne ? Vos jambes se dérobent sous vous ; votre cœur est près de se fondre. Ne vous raidissez pas, laissez agir la nature. Elle agit, je le sens, je le vois. Vos bras s’entr’ouvrent, ils vont s’ouvrir, il s’ouvrent… Raoul, courez embrasser votre père, ajouta-t-elle en poussant le jeune baron dans les bras du marquis et en les regardant avec ivresse s’embrasser d’assez mauvaise grâce.

— Et nous, mon vieil ami, s’écria-t-elle ensuite, ne nous embrasserons-nous pas ?

— Embrassons-nous, dit le marquis.

Et tandis qu’ils étaient dans les bras l’un de l’autre :

— Baronne, dit le marquis à demi-voix, je ne sais pas où vous voulez en venir, mais je sens que vous tramez quelque chose d’infâme.

— Marquis, dit la baronne, vous n’êtes qu’un vieux roué.

— Bernard, Hélène, vous aussi, vieil ami, reprit-elle aussitôt avec effusion, en les réunissant tous trois sous un même regard et dans une