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ainsi nue, elle s’assit à terre et répandit ses beaux cheveux sur son corps, inclinant la tête, afin qu’ils pussent la couvrir. Puis, avec ses mains, elle fit une fosse dans le sable et s’y enfonça jusqu’à la ceinture. Les hommes de la compagnie, voyant dona Lianor en cet état, se retirèrent pleins de tristesse et de pitié ; mais elle, apercevant André Vaz, le pilote, qui s’éloignait avec les autres, l’appela et lui dit : « Vous voyez, pilote, en quel état nous sommes et que nous ne pouvons aller plus loin. Il me paraît que la volonté de Dieu est que nous mourions ici, moi et mes enfans, à cause de mes péchés. Allez en paix, tâcher de vous sauver avec l’aide de Dieu ; et si jamais vous parvenez à revoir l’Inde ou le Portugal, racontez dans quelle situation vous nous avez laissés, Manoel de Sousa et moi, ainsi que nos enfans. » André Vaz, navré de douleur à ce pitoyable spectacle, tourna le dos sans répondre, et s’éloigna baigné de larmes. »

Assurément ce simple récit vaut mieux que tous les enjolivemens mythologique du poète. Cette chaste tombe que la jeune femme chrétienne se creuse elle-même dans le sable, ce geste pudique qui est resté dans toutes les mémoires[1], comme le trait le plus sublime de la légende, sont d’une bien autre poésie que les madrigaux dont Apollon poursuit cette pauvre femme expirante. Heureusement, dans la peinture de la mort et des obsèques de Lianor, le poète a su rester presque aussi simple et aussi touchant que l’historien.

Sepulveda entre dans une épaisse forêt pour y chercher quelques sauvages alimens. L’ombre du jeune fils qu’il a perdu dans la route lui apparaît et lui annoncé d’autres morts prochaines. Plein d’angoisses et de cruels pressentimens, il voudrait revoir Lianor, mais il craint de la retrouver les yeux fermés pour jamais ; il voudrait lui parler, mais il a peur que la mort n’ait déjà rendu ses lèvres muettes ; il voudrait contempler encore ses traits, mais il croit déjà la voir enveloppée d’une vapeur froide et mortelle ; il voudrait jouir de ses douces caresses, mais il tremble de trouver tout changé en une horrible et funeste image. Ah ! combien de fois il essaie de retourner sur ses pas ! combien de fois son cœur l’avertit de sa prochaine infortune ! combien de fois, changeant de route, il se décide à aller chercher, pour finir ses maux, la rencontre de quelques bêtes féroces plutôt que d’aller voir mourir celle qu’il a aimée plus que sa vie. Hélas ! des signes évidens lui annoncent ce qu’il redoute. À son oreille arrivent de tristes plaintes ; il

  1. Ces détails paraissent avoir été donnés par trois femmes esclaves présentes à cette scène, et qui suivant le récit de Diogo do Couto, parvinrent à atteindre le Portugal.