reux alors, sans plus d’espoir de salut, se séparent et se dispersent. Quelques-uns seulement réunis et guidés par Pantaléon de Sa, reverront le Portugal ; les autres périront, au milieu des rochers sauvages, sous la dent des lions et des panthères. Le chef perfide s’empare de l’or, de l’argent, des pierreries de Sepulveda, et lui ordonne de partir avec les dix-sept compagnons qui lui restent ; il ne leur laisse que leurs vêtemens, dont il n’ose les dépouiller. Cette troupe misérable chemine vers la mer, qu’elle ne tarde pas à apercevoir ; mais là les attend le dernier coup de la fortune. Du fond des bois s’élance sur eux une horde qui achève de les dépouiller. Lianor elle-même est laissée nue sur le rivage. Ici le poète a voulu embellir ce sombre dénouement par une dernière et malheureuse fiction. Il suppose que le soleil, ou, comme il l’appelle, Apollon, voyant les blanches épaules et le corps charmant de Lianor, s’éprend d’une passion qui lui fait oublier Daphné[1]. Il faut l’avouer, Corte Real se montre, dans ces inventions mesquines, bien inférieur à la simple et touchante beauté du récit de Diogo do Couto. Je ne puis résister au désir de mettre sous les yeux du lecteur la page suivante de l’historien.
« Manoel de Sousa, avec ceux de sa compagnie, suivait le chemin de la rivière de Manheça, dans l’intention d’y faire halte, si le chef de cette contrée voulait le lui permettre. Tout à coup une bande de Cafres fond sur eux. En un instant, ce qui était resté sur leurs corps fut pillé, et on les laissa nus. Quand les Cafres vinrent à vouloir porter la main sur les vêtemens de dona Lianor, celle-ci fit une résistance désespérée, se défendant avec ses mains et avec ses dents, comme une lionne pressée par la douleur. Aussi bien aimait-elle mieux qu’on la tuât que de souffrir qu’on la dépouillât de ses habillemens ; Manoel de Sousa de Sepulveda, voyant sa femme bien-aimée dans cette détresse et ses petits enfans qui pleuraient à terre, recouvra, sans doute par l’excès de sa profonde douleur, un rayon de son intelligence, comme il arrive à la lampe près de s’éteindre, qui jette une vive et dernière clarté. Retrouvant donc quelque peu son jugement, Sousa s’élance vers sa femme, et, la prenant entre ses bras, il lui dit : « Madame, laissez-les faire, et, rappelez-vous que tous nous venons nus en ce monde. Puisque telle est la volonté de Dieu, consolez-vous, car il permettra que ces maux nous soient comptés pour pénitence de nos péchés. » Lianor, entendant ces paroles, cessa de résister. Ces brutes inhumaines ne lui laissèrent pas le moindre vêtement pour se couvrir. Se voyant
- ↑ Et non pas Daphnis, comme on l’a écrit très mal à propos.