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À titre de chefs-d’œuvre en tous lieux applaudies,
De voir tel barbouilleur vendu cher, illustré,
Quand plus d’un vrai talent de sa gloire est frustré.
Le roman-feuilleton nous traque nous opprime ;
Son bruit ne permet pas qu’on entende la rime :
Mais ses auteurs, vers qui, béans, nous nous tournons,
Ont beau voir sans repos carillonner leurs noms ;
Ils ont beau, du public amour et coqueluche,
Se pavaner au comble où l’engouent les juche,
Sachant comment leur vient ce triomphe éclatant,
Je n’achèterais pas leur gloire au prix coûtant.

Non, certes, car leur gloire est bien de contrebande,
Toute faite de puffs et d’œuvres de commande.
Pour plaire à notre siècle et marcher à son gré,
Ils ont su découvrir le genre accéléré.
Scudéry n’est plus rien, dont la fertile plume
Tous les mois, nous dit-on, accouchait d’un volume.
Nos faiseurs riraient bien de son maigre labeur.
Ils ont à l’art d’écrire appliqué la vapeur.
Leur plume est la machine ou la locomotive
Que précipite au but le chauffeur qui l’active ;
Ils font un livre à l’heure ; ils vous ont des cerveaux
De la force de cent ou cent vingt chevaux.
Le puits artésien, c’est leur verve ; elle abonde
Comme l’eau d’un étang dont on ôte la bonde ; .
On ne peut échapper à ce flot redouté.
Mais on sait le secret de leur fécondité :
Ils sont entrepreneurs ; ils ont des filatures,
Des ateliers d’esprit et des manufactures.
Là, se confectionne, et toujours sans lenteur,
Le produit attendu par le consommateur ;
Là, grace aux ouvriers, maîtres et contre-maîtres,
On peut, à jour fixé, vous livrer tant de mètres
De style, si pourtant l’on peut nommer ainsi
Je ne sais quoi de mou, de fade et de ranci,
Sortant à point nommé de ces pauvres cervelles
Qui vont fonctionnant comme des manivelles.
Quel métier, juste ciel ! N’est-il pas affligeant
De voir ce que l’on fait de l’être intelligent,