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témoignent de leur tristesse ; elles disent : « Où vas-tu, capitaine, avec ces hommes infortunés ? où t’emporte le malheur dans ta course rapide ? Tu vas au-devant d’un désastre certain. Retourne, ah ! retourne en arrière, malheureux ! Déjà la Parque lève son bras inflexible. Aie pitié de tes jeunes enfans, qui n’ont pas connu le bonheur, aie pitié de celle dont, par une faveur divine, tu es devenu l’époux ! Retourne sur tes pas, si cela t’est possible ; mais tout est possible au libre arbitre : il surmonte l’influence du ciel même… » Inutiles conseils ! les barques ont touché l’autre rive ; la malheureuse caravane rentre dans le désert, dans la famine, dans le désespoir. Bientôt elle atteint un autre bras du fleuve. L’eau, hélas ! en est saumâtre. Ils ne peuvent s’en procurer un peu de douce qu’en la puisant à de rares fontaines ou ils la disputent aux lions et au tiges. Ayant aperçu trois embarcations sur le fleuve, ils demandent aux naturels qui les montent de les conduire sur l’autre bord ; ceux-ci y consentent : seulement, à cause de la nuit, le passage est remis au lendemain. Encore une nuit de trouble, d’anxiétés, de pressentimens funèbres pour l’inquiet capitaine. Ses yeux se refusent au sommeil il croit entendre la voix menaçante du fleuve. Le matin venu, il se lève, mais non pas tel qu’il était la veille : tant de maux sans espoir ont fini par bouleverser sa raison. Il monte cependant dans une des barques avec Lianor et une partie de la troupe. Les autres bateaux se chargent du reste, tous partent ensemble et marchent de front. Au milieu du fleuve, les rameurs qui conduisent la barque de Sepulveda et de sa famille s’écartent un peu des autres pour éviter un bas fond. Celui-ci, que les chagrins aveuglent, soupçonne un piège. Furieux, il tire son épée et veut punir ce qu’il croit une trahison. La peur court dans les veines des Cafres, qui ne peuvent comprendre la cause de cette brusque attaque. Eperdus à la vue de l’épée qui flamboie, ils s’élancent et plongent dans la paisible rivière, et bientôt reparaissent demi-morts à la surface. Ainsi, quand, au milieu des herbes paisibles, les grenouilles babillardes remplissent l’air de leurs cris discordans, si, par hasard, un bruit se fait entendre, s’il passe à côté d’elles un troupeau qui cherche la prairie, elles cessent leur chant rauque, et, toutes pressées d’éviter le péril inconnu, plongent au fond du marais fangeux ; mais bientôt elles reparaissent craintives et lèvent leurs têtes humides pour voir si elles peuvent reprendre le poste qu’elles occupaient naguère en sûreté. De même les Cafres, cachés au fond de l’eau, se remontrent tremblans et cherchent la cause de cette tempête imprévue. Le capitaine, toujours furieux et bondissant de colère, ne cède qu’aux larmes