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que leur assistance dans une guerre qu’il soutient contre un cruel voisin. On délibère : quelques-uns pensent qu’il faut accepter ces offres, que pendant. cette halte on pourra se refaire de tant et de si longues fatigues. La belle et judicieuse Lianor partage cet avis. D’autres le repoussent, et soutiennent qu’il ne faut s’arrêter qu’après avoir atteint les rives du Lourenço Marques. Cette funeste opinion l’emporte ; le départ est résolu ; seulement le capitaine ne peut refuser le secours que réclame de lui son hôte généreux. Pantaléon de Sa, avec trente Portugais choisis, assure la victoire à leur allié.

Ici Corte Real a introduit une des grandes machines obligées de toute époque classique, la vision de l’histoire nationale, sorte de grande lanterne magique dont, suivant le sujet, le poète ne fait que changer les verres. Un vieillard, après la victoire, conduit mystérieusement Pantaléon de Sa dans une grotte où apparaît sculptée sur le granit toute l’histoire passée et future du Portugal. Ce qui me frappe surtout dans cette longue digression, semée d’ailleurs de beaux détails, c’est l’habileté particulière avec laquelle Corte Real a su éviter de repasser sur les traces de Camoens. Quel procédé a-t-il employé pour échapper à un si dangereux parallèle ? il a eu soin d’appuyer légèrement sur les gestes célèbres des rois portugais. Ce qu’il développe avec complaisance et colore avec vigueur, ce sont quelques faits moins connus où éclatent le courage et la loyauté de certains vassaux, légende naïves, quelquefois plaisantes, toujours héroïques. Mais le poète est surtout admirable, quand dépassant la date où s’est arrêté Camoens, il arrive à la funeste expédition en Afrique du jeune roi dom Sébastien et décrit la dernière grande bataille du Portugal. Le tableau qu’il déroule de la sanglante journée d’Alcacer-Quebir, où l’on s’aperçoit bien qu’il a combattu, est une des plus belles peintures de guerre qui soit sortie de la main d’un poète.

Après cette vision, Pantaléon de Sa rejoint ses compagnons, qui se disposent à continuer leur route. Le bon roi cafre leur fournit à regret, des barques et des rameurs pour traverser le premier bras du Lourenço-Marques, qu’ils vont chercher et dont ils s’éloignent. Arrivés au milieu du fleuve, où le lit est le plus profond et le plus transparent, l’eau limpide et pure commence à s’agiter par un bouillonnement intérieur. On aperçoit au fond des têtes entourées, non pas de roses ou de fleurs agréables mais de sombres roseaux et d’herbes fanées ; puis, s’élevant davantage, surnagent ; à la grande admiration de ceux qui sont témoins d’un tel prodige, des naïades, qui font doucement retentir un concert de plaintifs instrumens. Leurs fronts abattus