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des hurlemens épouvantables ; il voit des centaines d’yeux flamboyans éclairer les ténèbres. « Ce sont mes vieux camarades les loups, dit-il, qui, sachant mon passage, me fêtent par une sérénade et une illumination ; » et aussitôt, montant sur le siége de la voiture, il leur adresse ses remerciemens dans ne allocution qui est la parodie des discours adressés en semblable circonstance par les grands personnages politiques.


« Je suis heureux, chers loups, mes camarades, de me trouver au milieu de vous, et d’entendre tant de nobles cœurs me hurler leur sympathie. Ce que j’éprouve en ce moment est indicible. Ah ! cette heure fortunée restera éternellement gravée dans ma mémoire. Je vous remercie de la confiance dont vous m’honorez, et que vous m’avez conservée à travers toutes les épreuves.

« Loups, mes camarades, vous n’avez jamais douté de moi ; vous ne vous êtes pas laissé abuser par de mauvaises langues qui vous ont dit que j’étais passé aux chiens, que j’avais déserté, et que je serais bientôt conseiller aulique à la cour des moutons. Me défendre de pareilles assertions était tout-à-fait au dessous de ma dignité.

« La toison que j’ai parfois jetée sur mes épaules ; cette fin de me réchauffer, croyez moi, n’a jamais eu pour effet de m’enthousiasmer pour le bonheur des moutons. Je ne suis ni mouton, ni chien, ni conseiller aulique ; je suis resté loup, et mon cœur et mes dents le prouveront. Je suis un loup et hurlerai toujours avec les loups. Oui, comptez sur moi et aidez-vous, alors le ciel vous aidera. »

« Tel fut le discours que je tins en cette circonstance, et sans préparation aucune, dit le poète. Le docteur Kolb[1] l’a publié, mais mutilé, dans la Gazette Universelle. »


Enfin M. Heine arrive à Hambourg, qui, brûlé à demi, à demi reconstruit, ressemble à un caniche à moitié tondu. En tant que république, continue le poète, Hambourg n’a jamais égalé ni Venise ni Florence, mais on y mange de meilleures huîtres. Puis il raconte que son éditeur Campe le conduit au restaurant et lui donne un excellent dîner en joyeuse compagnie ; si bien que, faisant in petto cette réflexion attendrie, qu’un autre éditeur l’eût peut être laissé mourir de faim, il en conclut que Campe est un grand homme, la fleur des libraires, et il rend grace à Dieu d’avoir créé l’éditeur Julius Campe, l’huître au fond des mers, le vin du Rhin sur la terre, et d’avoir fait mûrir le citron pour en humecter les huîtres. A l’issue de ce repas inspirateur, ému, enflammé d’amour pour ses semblables, M. Heine va errer dans les rues aux clartés d’une lune tentatrice. Hammonia,

  1. Rédacteur en chef de la Gazette Universelle d’Augsbourg.