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suffire, pour qu’on saluât en lui sinon un frère, du moins un cousin germain de quelques uns de nos plus rares esprits.

Les poésies lyriques de M. Heine, répétées en Allemagne de bouche en bouche, n’étaient pas de nature à pouvoir être aussi goûtées parmi nous que sa prose. La traduction leur enlève, une grande partie de leur valeur. On ne saurait reproduire cette beauté musicale accomplie, cet abandon, ce laisser aller apparent sous le contour le plus net, et surtout ces accens de mélancolie profonde brisés soudain, cette antithèse perpétuelle de tendresse et d’amertume fondue dans les nuances les plus délicates, ces abîmes de tristesse entr’ouverts comme par une baguette fleurie qui les referme aussitôt. La prose de M. Heine, au contraire, en se dégageant des traditions allemandes, en dépouillant la consciencieuse longueur des périodes et la pédantesque monotonie des imitateurs de Goethe, en se faisant vive, alerte, pimpante, coquette, un peu fardée il est vrai, mais comme par bravade ; comme pourrait le faire une jeune fille de vingt ans qui s’amuserait à jeter des mouches sur les roses de son visage, cette prose ne perd que très peu à passer d’une langue dans une autre, et M. Henri Heine a pu, sans trop de présomption, aspirer dans la fièvre de juillet à se faire reconnaître et adopter parmi nous comme un dernier, enfant du XVIIIe siècle.

L’Allemagne, conte d’hiver, tel est le titre du volume nouvellement publié par Henri Heine. Ce volume est précédé d’une préface qui en explique et en motive l’apparition. C’est aussi une espèce de profession de fois non pas comme celle de Freiligrath, la profession de foi d’un jeune cœur ému et tremblant encore de son audace, qui fait un appel candide à la sympathie du public, mais un cri de gare ! jeté d’une voix moqueuse à la foule parmi un homme qui s’avance en courant et en faisant le moulinet ; tapant à droite, à gauche, attrapant au hasard amis et ennemis, tombant sur choses et gens avec effronterie, sans pitié et sans vergogne. Cette préface est la cynique apologie du livre le plus cynique qui soit sorti de la plume de M. Heine. La pièce de vers, qui ouvre le volume en est à elle seule la plus claire explication. Toute la pensée de l’auteur s’y exprime en douze lignes ; il y dit, mieux que de longues pages de commentaires et d’analyses ne sauraient le faire, sa vocation, son instinct, sa tache et son but.

Cette pièce de vers est intitulée : Doctrine. C’est une raillerie piquante de l’abus des théories et des abstractions qui a été si long-temps et qui est encore jusqu’à un certain point l’erreur de l’Allemagne.