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de gravité qui seul lui convient. Il se délecte aussi deux pages plus bas dans un jeu de mots d’un goût médiocre et d’un sel fade sur les vers contre la couronne qu’il a faits à la Couronne auberge d’Assmanhausen. A moins que ce ne soit dans l’intention philanthropique de recommander l’aubergiste à la sympathie des touristes libéraux, nous avouons ne pas trop comprendre un volume de vers d’intention si sérieuse terminé par une semblable pointe.

C’est avec un plaisir véritable, malgré l’apparente rigueur de notre critique, que nous signalerons dans ce recueil plusieurs pièces de vers où se retrouvent les qualités de forme qui ont fait la réputation de l’auteur. Il en est une surtout dont le style simple et noble et le sentiment, profond nous paraissent dignes de tout éloge. C’est une élégie inspirée par les récens malheurs de la Silésie, et qui se lie d’une façon très ingénieuse à une légende populaire fort poétique. Rübezahl est un esprit bienfaisant des montagnes, un gnome de mœurs fantasques, d’allures capricieuses, espiègle et lutin s’il en fut, généreux secourable aux voyageurs chéri surtout des enfans dont il égaie les promenades par des mystifications inoffensives, et qu’il ramène au logis lorsqu’ils s’égarent dans la forêt.


« Les haies verdissent, enfin ; voici déjà une violette ; quelle fête ! dit un pauvre enfant de tisserand qui se glisse en cachette hors de la maison et s’achemine vers le bois, portant un ballot de toile sur ses épaules. C’est ici l’endroit ; je vais me risquer. – « Rübezahl ! »

« S’il m’entend, je le regarderai hardiment en face ; il n’est pas méchant. Je vais mettre mon paquet de toile sur ce rocher. Il y en a une pièce tout entière, et belle ! Oh ! oui, j’en réponds ; on n’en tisse pas de plus belle dans la vallée. — Il ne vient toujours pas. Allons, courage, encore une fois : — « Rübezahl ! »

« Rien encore ! – Je suis venu dans le bois pour qu’il nous tire de peine. Ma mère a les joues si pâles ! Dans toute la maison, pas un morceau de pain ! Mon père est parti pour le marché en jurant. Trouvera-t-il des chalands enfin ? Moi, je vais essayer ma fortune auprès de Rübezahl. Où reste t il donc ? Pour la troisième fois : — « Rübezahl ! »

« Il a tant secouru de malheureux jadis ! — Ma grand’mère me l’a conté souvent. Oui, il est bon au pauvre monde que la misère torture. Je suis accouru ici tout joyeux avec ma pièce de toile bien mesurée. Je ne veux pas mendier, je veux vendre. Oh ! qu’il vienne donc. — « Rübezahl ! Rübezahl ! »

« Si cette pièce lui plaisait, peut être qu’il en demanderait davantage. C’est cela qui m’arrangerait ! Hélas ! il y en a tant encore d’également belles à la maison. Il les prendrait toutes jusqu’à la dernière ; alors je rachèterais aussi celles qu’on a mises en gage. Quel bonheur ! Rübezahl ! Rübezahl ! »

« Et alors j’entrerais joyeux dans la petite chambre, et je m’écrierais :