Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 8.djvu/833

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

N’a jamais égayé ce lieu triste et sauvage.
Tout se tait, tout est mort : mourez, honteux soupirs,
Mourez, importuns souvenirs
Qui me retracez l’infidèle ;
Mourez, tumultueux désirs,
Ou soyez volages comme elle !…


Tout ce mouvement est d’une vérité profonde et d’une vraiment durable beauté ; il contraste admirablement avec l’invocation toute reposée, toute radoucie, d’une des élégies suivantes, et avec ce début enchanteur :

Calme des sens, paisible indifférence,
Léger sommeil d’un cœur tranquillisé,
Descends du ciel ; éprouve ta puissance
Sur un amant trop long-temps abusé !…


Ainsi toute cette fin se gradue, se compose ; mais c’est le cri de tout à l’heure qui domine et qu’on emporte avec soi. Rien que par ce seul cri Parny mériterait de ne point mourir à Millevoye, qui souvent nous offre comme la transition de Parny à Lamartine, et de qui l’on a dit avec bonheur « qu’il faisait doucement dériver la poésie vers les plages nouvelles où lui-même n’aborda pas[1], » Millevoye, au milieu de ses vagues plaintes, n’a jamais de tels accens qui décèlent énergie et passion. On chercherait d’ailleurs vainement dans l’élégie de Parny quelque rapport avec ce que le genre est devenu ensuite chez Lamartine, quelques vers peut-être çà et là, des traces de loin en loin qui rappellent les mêmes sentiers où ils ont passé :

Fuyons ces tristes lieux, ô maîtresse adorée,
Nous perdons en espoir la moitié de nos jours !


Lamartine a presque répété ce dernier vers[2]. Et dans l’élégie dernière de Parny, qu’on relise cet adieu final si pénétré :

Le chagrin dévorant a flétri ma jeunesse ;
Je suis mort au plaisir, et mort à la tendresse.
Hélas ! j’ai trop aimé ; dans mon cœur épuisé,
Le sentiment ne peut renaître.

  1. M. Vinet, Discours sur la Littérature française, tome III de sa Chrestomathie (1841).
  2. C’est dans une élégie des secondes Méditations :

    Aimons-nous, ô ma bien-aimée…
    La moitié de leurs jours, hélas ! est consumée
    Dans l’abandon des biens réels.