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des bateaux de pêche un signal de salut, n’annoncent aux grands bâtimens que leur perte. Les navires qui gouvernent du sud sur le Pas-de-Calais mettent le cap au nord sur Dangeness, la point sud-est de la côte d’Angleterre ; mais s’ils tombent dans les courans de la Bassure de Baas, ils sont poussés en dérive sur la côte de I’Authie et de la Canche, et, s’ils tardent à s’en apercevoir, ils sont perdus sans ressource. Les fanaux de la Canche vont être remplacés par deux phares de premier ordre à feux fixes, dont la portée de lumière sera de vingt milles. Distans l’un de l’autre de deux cent cinquante mètres, ils seront, comme la côte orientés nord et sud. Cette disposition mettra les navires en état d’estimer du large leur situation avec une précision parfaite, et long-temps avant que le danger commence pour eux.

Étaples est à sept kilomètres en amont de l’embouchure de la Canche. Devant le bourg, la marée s’élève de trois à cinq mètres, et la rivière devient, à la nouvelle et à la pleine lune, navigable jusque sous les murs de Montreuil ; il serait facile de la rendre constamment telle jusques à Hesdin. En remontant la vallée, une continuité de terres bien cultivée de rians coteaux dédommage les yeux de la tristesse de l’aspect de la baie. Le bourg n’a point de quais ; les maisons y sont modestes, mais bien tenues : une jolie église avec un chœur garni de boiseries du XVIe siècle d’une bonne sculpture et soigneusement conservées témoigne qu’Etaples a jadis eu ses artistes, et que leurs œuvres n’ont pas cessé d’y être goûtées.

Au moment où nous arrivions sur la grande place, les bannières d’une procession paraissaient à l’autre bout. Toute la population d’Étaples était là ; sur 1,900 habitans que’elle compte, 600 sont compris dans l’inscription maritime, et le curé, le juge de paix, le notaire, y sont presque les seuls qui ne soient pas marins. Je ne me souviens pas d’avoir vu de plus belle et plus forte population. Les hautes statures, les larges poitrines, les traits mâles et bronzés des hommes, la décence de leur tenue, contrastent avec l’abâtardissement de l’espèce dans les villes manufacturières les plus voisines ; les femmes ne sont pas moins remarquables par leur force et leur fraîcheur. Depuis le mois de mars jusqu’au mois de novembre, la plupart d’entre elles vont par bandes faire, à chaque marée, la pêche aux crevettes ; elles partent chargées de leurs filets, entrent dans la mer, et, marchant contre le flux, puis contre le reflux, elles ramassent avec leur filet les crevettes qui suivent le mouvement de la marée, les rejettent dans une hotte, et rapportera au logis le produit de leur pêche. Avec un peu de bonheur, on gagne de la sorte jusqu’à 5 francs par jour ; aussi une femme