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dangers de la navigation du Hâvre au Pas-de-Calais. Ce mouvement du commerce sera sollicité par la force d’attraction du port de Londres. Dans la multitude de navires du Nord dont il est le but ou le point de départ, un grand nombre viendront compléter leurs chargemens à Boulogne, qui se résoudraient difficilement à venir en faire autant au Hâvre. Un effet analogue se produira même par rapport aux relations avec les mers de l’Inde et les États-Unis. Des bâtimens faisant le commerce entre l’Amérique et Londres auront évidemment avantage à toucher à Boulogne, au lieu de s’exposer à être affalés par les vents de nord sur les côtes de Normandie. La portée d’un fait si simple ne peut guère se calculer, surtout si l’on songe que tout bâtiment en charge dans le port de Londres saura, dans la journée de son appareillage, s’il y a des marchandises à prendre à Boulogne. Les différences de fret qui s’établiront entre cette ville et le Havre éclairciront bientôt cette question ; mais il est, dès ce moment, évident que nos manufactures trouveront au moins dans ces combinaisons l’élargissement d’un débouché, et que, si le Hâvre perd quelque chose, Boulogne gagnera beaucoup davantage.

L’établissement du chemin de fer implique donc à lui seul la nécessité d’améliorations très considérables dans le port de Boulogne. Ces nouvelles dépenses ne seront pas moins bien justifiées que celles dont nous recueillerons déjà les fruits. Mais n’avons-nous aucune autre raison de fonder une grande position navale dans cette mer étroite, où s’associent tant d’intérêts, où se mesurent tant de rivalités ?

De l’embouchure de la Seine à la frontière de Belgique, la côte de France est une des plus mauvaises de l’Europe sur ses alignemens uniformes s’ouvrent, il est vrai, plusieurs ports ; mais leurs étroites entrées sont toutes d’un difficile accès, et par les gros temps si fréquens dans ces parages, le navire qui les manque est en danger de perdition. Ce long espace n’offre pas à nos bâtimens ou à ceux des nations amies un seul de ces abris où l’on entre en tout temps à pleines voiles. La côte d’Angleterre, au contraire, ouvre à la mer sur toutes ses faces de profondes échancrures. Ces conditions si différentes ont produit des deux côtés du détroit leurs effets naturels. Dans les rades abritées de l’Angleterre, les grandes constructions navales se sont multipliées ; en France, où la côte n’offre de sûreté complète qu’aux petites embarcations, les bateaux de pêche seuls sont très nombreux, et l’on n’a presque pas de forts bâtimens : ainsi, le tonnage moyen des navires du port est à Calais de 24 tonneaux, à Boulogne de 21, à Etaples de 11.