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cherche avec diligence l’auteur secret de cet odieux attentat. Peines inutiles ! vains efforts ! L’enfant ailé, après sa victoire, a pris son vol vers Cypre. On soupçonna, néanmoins, que dans cette conjoncture déplorable l’Amour seul était l’homicide. »

De ville en ville, la fatale nouvelle arrive à Gao, où elle est parmi le peuple et la noblesse un grand sujet de scandale. On demande un châtiment exemplaire pour un forfait aussi audacieux ; mais, comme le remarque le poète dans les premiers vers de son quatrième chant, qui rappellent les moralités piquantes des prologues de l’Arioste, rien ne résiste au temps : il triomphe de tout, il détruit, il efface, il consume tout ; il plonge dans l’oubli les grandes pertes, les grandes passions, les grandes douleurs. A peine quelques jours se sont-ils écoulés, et déjà s’est apaisée la tempête. Ce crime inoui, ce meurtre qui excitait l’horreur, est sorti de toutes les pensées ; il n’est déjà plus gravé que dans la mémoire éternelle du juge souverain. Sousa ose demander au père de Lianor de consentir à ce qu’il ne peut plus refuser. Le vieillard, en effet, voyant ses projets anéantis par la mort de Falcâo, consent à l’union de sa fille et de Sousa, et renferme en son ame sa muette tristesse.

L’histoire confirme de tous points cette avant-scène du drame. On lit dans Diogo do Couto[1], sous la date de 1549, que « le vieux Garcia de Sa, sentant sa fin prochaine (il mourut dans l’année même), accorda la main de dona Lianor d’Albuquerque, sa fille aînée, à Manoel de Sousa de Sepulveda, avec qui, dit-on, elle était déjà mariée à l’insu de son père. » L’historien ajoute que la ville de Goa donna à cette occasion les fêtes les plus splendides. Le poète, de son côté, ne consacre pas moins de deux chants à la description des cérémonies du mariage et au récit des divertissemens offerts aux nobles époux, soit par les habitans portugais de Goa, soit par la population indienne. Dans toute cette peinture des magnificences nuptiales, Corte Real déploie la souple variété de style et la richesse de coloris que l’on a déjà pu reconnaître dans son talent. Ne pouvant reproduire ici la description variée des jeunes indiens et des tournois portugais, je me borne à extraire les traits principaux de la peinture des deux jeunes fiancés dans le jour solennel.

« Lianor part de la maison paternelle ; tous la contemplent émerveillés. Les graces embellissent sa marche ; ses blonds cheveux forment autour de sa tête des tresses ondoyantes, auxquelles se marient des

  1. Ibid. VI, livre VII, chap. 2.