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D’abord, sur les frontières de la Catalogne et de l’Aragon, l’arrestation d’Ametler et de ses complices a déconcerté le plan de la conspiration. Une autre tentative a échoué à Sarragosse. À Barcelone, le capitaine-général, le baron de Meer, a échappé aux coups des assassins. Le même jour enfin, dans Madrid, le maréchal Narvaez devait périr sous les balles des conspirateurs, et sa mort devait être le signal de la révolte d’un bout à l’autre de la Péninsule. Des révélations suivies de mesures promptes et énergiques ont épargné à l’Espagne d’incalculables malheurs.

La France s’est réjouie de voir l’Espagne échapper, comme par miracle, à cet immense danger. Toutefois, c’est avec douleur que sur la liste des arrestations opérées après la découverte d’un attentat si énorme, elle a vu le nom du général Prim, du brillant comte de Reuss, du jeune capitaine connu dans toute l’Espagne pour sa bravoure et sa franchise, du commandant intrépide qui a donné le signal du soulèvement contre Espartero. L’étonnement s’est mêlé à la douleur, quand on a vu l’étrange procédure suivie contre le prévenu : point de preuves, point d’aveux, et la peine de mort requise sur de simples indices ! Mais les vices de cette instruction ont été reconnus, il en sera fait une autre, et la cause sera jugée ultérieurement. Espérons que l’honneur du général Prim sortira pur de ce malheureux débat. Dieu veuille, dans l’intérêt de l’Espagne, que son innocence éclate au grand jour !

Cependant, cette nouvelle tentative révolutionnaire, si miraculeusement comprimée, a raffermi le ministère espagnol en ralliant autour de lui le parti modéré, et en faisant cesser des dissidences qui commençaient à inquiéter les esprits. Le début du ministère n’avait pas été très heureux. Son projet de réforme avait été plus hardi que sage ; mais les évènemens lui ont donné gain de cause. Dans le sénat et dans le congrès, la pensée d’une réforme constitutionnelle a reçu l’appui d’une forte majorité. Au congrès, 133 voix contre 25 se sont prononcées pour la réforme. Le projet, livré à une commission, a reçu, d’accord avec le ministère, plusieurs modifications, dont la plus importante concerne l’interdiction de mariage entre la reine et la branche de don Carlos. Bref, la situation du ministère est forte en ce moment. Pour conserver ses avantages, il n’a qu’à rester fidèle à son origine. Qu’il se défende de tout esprit de réaction ; qu’il entre franchement dans la voie des institutions libres. La nouvelle constitution une fois votée, qu’il en fasse une application libérale et sincère ; qu’il songe surtout à réformer l’administration, là est la plaie de l’Espagne. Qu’il organise l’armée, la marine, la justice, les finances ; qu’il encourage le commerce, l’industrie, l’agriculture ; qu’il donne l’élan aux travaux publics. En un mot, qu’il régénère ce beau pays et qu’il le fasse sortir de l’ornière des révolutions. C’est en France surtout que l’on applaudira à ses efforts, car c’est la France qui fait les vœux les plus sincères pour la régénération de l’Espagne.


V. de Mars.