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du paon, embelli par de grosses sentences. Là-dessus l’enfant se retire et la pièce commence.

Silvio, puissant roi de Carreau, pleure et se lamente dans le sein de son ministre Pantalon ; son fils unique, Tartaglia (le peuple en personne), périt d’ennui et de consomption. Le malheureux ! on l’a tant abreuvé de drames pleureurs, de comédies empruntées aux étrangers et d’ouvrages dits réguliers, qu’il se meurt dans les règles, soigné par deux médecins en bonnets pointus. C’est la méchante fée Morgane qui lui a envoyé ces potions achérontiques. Que pourrait-on lui administrer ? Léandre penche pour l’opium, Truffaldin opine pour une infusion de vers martelliens ; mais Clarice assure que les vers martelliens et l’opium sont une seule et même drogue. L’oracle déclare que le prince ne sera guéri que si on vient à bout de le faire rire. Hélas ! comment faire rire un pauvre enfant qu’on a tant ennuyé pendant si long-temps ? Truffaldin prend les tasses, les potions noires, les fioles empoisonnées de la médecine nouvelle, et jette le tout par la fenêtre. « Amusons le prince, dit-il, soyons gais, jouons-lui quelque farce italienne. Majesté, donnez une fête à votre fils. » On ouvre les portes au peuple ; les bonnes gens entrent dans le palais. On boit, ou fait de la musique : le prince n’en est que plus sombre. On se masque, on danse : le prince ne se déride pas. La fée Morgane, déguisée en vieille femme, s’approche, une cruche la main, d’une fontaine qui verse du vin. Truffaldin l’attaque, se moque d’elle, fait des gambades en disant mille lazzis qui irritent la vieille. Elle veut le battre, il la pousse ; elle tombe sur le dos, les jambes en l’air, au milieu des débris de sa cruche cassée. Le prince éclate de rire, et l’enchantement est rompu. Comme le parterre riait aussi, Truffaldin (Sacchi) lui disait avec attendrissement : « Hélas ! chers souverains de mon cœur, si le pauvre Truffaldin avait su que vous l’aimiez encore, il ne serait pas allé jouer en Portugal. » Cependant la fée, furieuse, se tournait vers le prince et lui lançait une horrible malédiction : « Sois donc guéri de l’ennui, mais sois amoureux des trois oranges d’or. Point de repos pour toi jusqu’à ce que tu les possèdes. Tu seras comme le quadrupède dans l’eau et le poisson dans un parterre de fleurs jusqu’à ce que tu aies conquis les trois oranges. » - « Eh bien ! disait Pantalon, courons après les oranges d’or. Ce n’est pas assez que d’être guéri de l’ennui, des comédies régulières et des vers martelliens ; il faut reconquérir aussi l’ancienne comédie, les bonnes fables de nourrices, la verve éteinte des masques nationaux, et les amusemens oubliés de notre jeunesse. » Après cette introduction satirique commençait la poursuite des oranges