Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 8.djvu/689

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le retour de Sacchi et de Zanoni, ces acteurs inimitables qui ramèneront avec eux les plaisirs, la gaieté italienne, et la pantalonnade plus profonde qu’on ne le croit à voir son air innocent. Goldoni, enflé par un succès éphémère, proclame dans ses préfaces son dessein « d’arracher à la comédie nationale ses masques de cuir, » expression choquante et cruelle dont il se repentira ; ainsi l’a dit Burchiello. « Continuez donc, poètes nouveaux, à sonner vos cloches de bois qui appellent les papillons au consistoire. Tout cela aura une fin, et alors, que ferez-vous ? vous vendrez de l’onguent, vous direz la bonne aventure en plein-air, et vous débiterez de ces marchandises qu’on ne donne qu’au comptant. »

L’académie des Graneleschi demandait l’impression de la Tartane. Gozzi refuse de la donner au libraire ; mais il en accorde une copie à son ami Daniel Farsetti, qui l’envoie imprimer en France et en répand dans Venise un millier d’exemplaires sans la permission de l’auteur. Les Vénitiens, rieurs et inconstans, ne se faisaient aucun scrupule de berner le poète qu’ils avaient acabblé hier de caresses et de sérénades. Les journaux de Florence prirent feu pour la comédie nationale, et le célèbre P. Calogerà fit un grand éloge de la Tartane dans ses mémoires littéraires. Chiari voulut répondre, et prouva en vers détestables combien les critiques de Burchiello étaient fondées. Goldoni en appelait encore à l’auditoire nombreux qui venait chaque soir à San-Salvatore. Les amis de Gozzi lui représentèrent que le silence n’était plus possible, que la satire ne suffisait pas, et que Ie public avait le droit d’exiger une pièce meilleure que celle du genre critique : « César, répond Gozzi, a pris son temps pour passer le Rubicon, et vous autres vous m’y pousser la tête la première en répandant ma satire dans les cafés ; il faut à présent que je nage ou que je me noie. » Sur ces entrefaites, le tremblement de terre de Lisbonne ayant chassé Sacchi du Portugal, Gozzi n’eut plus aucun prétexte de retard. Un matin, le petit théâtre de San-Samuel, fermé depuis cinq ans, est nettoyé avec soin, et sur la porte on voit une grande affiche qui annonce : l’Amour des Trois oranges, fable en cinq actes, imaginée exprès pour ramener les quatre masques nationaux, et soumettre au public quelques allégories peu déguisées.

Le signor Prologue est un petit enfant qui se glisse entre la toile et la rampe pour faire trois saluts et dire d’un air naïf que l’auteur, par grand extraordinaire, va faire représenter une pièce nouvelle qui n’a été jouée nulle part. La troupe demande pardon aux spectateurs de ne pas leur donner un ouvrage vieux, traduit, usé, paré des plumes