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de loisir ; la seconde, absorbant les enfans du matin au soir dans le travail des fabriques dès l’âge de douze ans, termine de fait l’éducation au moment où les semences de l’enseignement pourraient devenir fécondes. La loi de 1833 n’admet que deux catégories, les enfans et les adultes ; la loi de 1841 comprend, outre ces deux classes celle des adolescens, catégorie nouvelle pour laquelle aucun moyen d’instruction n’a été réservé. En effet, les adolescens ne peuvent pas fréquenter les écoles de jour, car leur journée appartient à la manufacture, et il leur est tout aussi impossible de se rattacher aux écoles du soir, attendu que ces écoles ne s’ouvrent qu’aux adultes, et qu’il faut avoir au moins quinze ans pour y être reçu.

Dans une société dont l’industrie forme le caractère essentiel, la loi qui pourvoit aux besoins de l’enseignement devrait le régler en vue du travail, il n’est pas possible que l’enfant se traîne sur les bancs de l’instruction primaire, jusqu’à l’âge de quinze ans, si voisin de l’âge d’homme, et il n’est pas bien que, depuis l’âge de douze ans jusqu’à celui de quinze, on laisse une lacune complète dans son éducation. Des asiles jusqu’à six ans, des écoles de jour jusqu’à treize, des écoles du soir et du dimanche jusqu’à dix-huit, et au-delà des cours spéciaux, voilà les institutions qui conviennent à un peuple occupé ; voilà le moyen de mener de front la culture de l’intelligence avec les soins matériels de la vie.

La ville de Paris entretient quatorze classes d’adultes, classes du soir, dont six sont dirigées par les frères de la doctrine chrétienne ; aucune n’admet des enfans de moins de quinze ans. Et de là l’inexécution complète de l’article 5 de la loi sur les manufactures qui veut qu’un enfant de douze ans, lorsqu’il ne saura pas lire, écrire et compter, soit tenu de suivre une école. Au surplus, le zèle des particuliers ne se montre ici ni plus éclairé ni plus actif que celui des communes et de l’état. Il n’existe qu’une seule école privée à l’usage des adolescens dans la capitale : c’est celle que les frères de la doctrine ont établie rue de Charonne, et qui reçoit tous les soirs, de huit à dix heures, deux cents enfans de douze à quinze ans.

Dans cette situation, que peut faire un inspecteur des manufactures ? S’il n’exige pas des jeunes ouvriers complètement illettrés l’assiduité à une école quelconque il enfreint et laisse enfreindre la loi ; s’il insiste au contraire avec rigueur, il s’expose à tenir une conduite inhumaine et inique, car il devra expulser, priver de travail et vouer au vagabondage des malheureux qui avaient peut-être bonne envie de s’instruire, mais à la portée desquels l’instruction n’a pas et placée.