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Les enfans qui remplissent les ateliers sont pâles, faibles, de petite stature, et lents à penser aussi bien qu’à se mouvoir ; à quatorze ou quinze ans, ils ne paraissent pas plus développés que des enfans de neuf à dix ans dans l’état normal. Quant à leur développement intellectuel et moral, on en voit à Paris aussi bien que dans le comté de Lancastre, qui, à l’âge de treize ans, n’ont pas la notion de Dieu, qui n’ont jamais entendu parler de leurs devoirs, et pour qui la première école de morale a été la prison. Il n’y a donc pas une grande témérité à penser qu’une génération plus vigoureuse et plus intelligente obtiendrait dans les ateliers des conditions plus favorables, et que la réduction du salaire ne serait bientôt plus proportionnée à la réduction des heures accordées au travail ; mais ce changement en entraînerait d’autres, et d’abord -il faudrait remanier les catégories établies la loi du 22 mars.

La loi part de deux hypothèses également inexactes ; elle suppose qu’un enfant de douze ans peut supporter un travail de douze heures, et qu’un enfant qui a plus de seize ans peut désormais se passer de protection. Le code civil, d’accord avec la raison publique, fixe à dix-huit ans révolus l’âge auquel un mineur est apte, dans certaines circonstances, à disposer de ses biens. Les mêmes motifs de prévoyance militent en faveur d’une clause légale qui ne permettrait pas au jeune ouvrier, avant l’âge de l’émancipation, avant d’avoir pris, pour ainsi dire, la robe prétexte, de travailler plus de douze heures par jour ; mais en même temps il convient d’élever au moins d’une année l’âge auquel cette tâche d’homme pourra être imposée à l’enfant. À douze ans, l’on n’est pas capable d’un travail de douze heures : les membres n’ont pas assez grandi, les muscles n’ont pas contracté assez de solidité, et l’éducation, si imparfaite qu’on la veuille, n’est pas assez avancée. De douze à quatorze, la voix mue, la taille croît, et la transition de l’enfance à l’adolescence s’accomplit. Attendons que ces premiers symptômes de la virilité aient commencé à poindre ; que le travail des enfans marche jusque-là, si j’ose le dire, à la longe, et que l’on ne puisse plus assujétir les jeunes ouvriers à une journée de douze heures avant l’âge de treize ans.

Passons à la question de l’enseignement. La loi sur l’instruction primaire et la loi sur le travail des enfans devraient procéder d’une même pensée et conspirer au même but. Rien de plus divergent cependant que leurs dispositions, rien de plus opposé que leur principe. La première, appelant aux écoles de jour tous les enfans de six à quinze ans, traite la France comme une nation composée d’hommes