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Il n’y eut donc pas alors de restauration politique, mais il y eut, ce qui valait mieux, une restauration sociale. L’œuvre fut entreprise par sa base. Le consulat et l’empire organisèrent une société nouvelle et forte où furent remises en honneur en harmonie avec l’esprit de notre siècle des choses impérissables et toujours nécessaires, comme la propriété et la religion. Alors, parmi ceux qui regrettaient le passé, plus intelligens comprirent, quel parti on pouvait tirer d’une reconstruction pareille : ils se rallièrent au pouvoir nouveau, afin de travailler sous sa tutelle à rendre aux idées qui leur étaient chères une grande autorité. Le Journal des Débats fut le centre de ces efforts ingénieux. Là on combattait pour la religion, l’on attaquait Voltaire ; là enfin, à l’ombre de la pourpre impériale, on restaurait l’ancienne monarchie dans ce qu’elle avait de meilleur, à savoir la grandeur littéraire et morale du XVIIe siècle. Quant à la race de Louis XIV, qui eût osé en souhaiter hautement le retour en face de Napoléon victorieux ? On pouvait dans l’intimité médire du conquérant ; il circulait même dans quelques salons des épigrammes contre le triomphateur. C’était tout : on n’allait pas plus loin. Il y avait dans l’empereur je ne sais quoi de redoutable qui glaçait le courage des plus hardis.

Mais aussi, quand César fut tombé, quel déchaînement ! que d’injures, que de calomnies accompagnèrent sa chute ! Il est triste de lire les journaux de 1814 et de 1815 et d’y voir toutes les misères, toutes les bassesses qui les remplissent. Les grandes cata strophes, en accablant le génie, précipitent aussi une foule d’hommes dans un étrange avilissement. Ces hommes s’acharnent sur celui qu’ils avaient adoré, et ils ne savent par quels outrages expier leur idolâtrie. Joignez à cette explosion d’invectives et de colères les folies de certains royalistes l’intention avouée de rétablir les privilèges de la noblesse et de revenir un jour sur la vente des biens nationaux, la proscription des protestans dans le midi, la création de suspects divisés en catégories, la fureur des réactions, et vous aurez une faible image tant de la presse légitimiste que de l’état du pays à cette funeste époque. Enfin Louis XVIII prononça la dissolution de la chambre de 1815. Il était temps : les cabinets étrangers s’effrayaient eux-mêmes de la démence de ces forcenés qui, au lieu de rétablir l’ordre en France, y jetaient des fermens de guerre civile.

L’ordonnance du 5 septembre 1816 inaugura pour les divers partis une époque, régulière où ils purent lutter les uns contre les autres avec les armes’ que leur fournissait la constitution. Quelques jours après, apparition de cette ordonnance, de Chateaubriand publia son livre