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car elle ne veut que l’homme se préfère à son semblable. En d’autres termes, comme le dit expressément M. de Bonald, la monarchie est l’instrument de la religion.

Considérons un moment comment l’auteur de la Théorie du Pouvoir établit la religion à la tête de toutes les affaires et de toutes les idées humaines. A ses yeux, la plus grande force de la religion, son véritable titre, est d’être un sentiment et non pas une opinion. C’est parce qu’elle est un sentiment qu’elle se traduit en faits et en habitudes, et, selon M. de Bonald, ce sont les habitudes et non les opinions, les souvenirs et non les raisonnemens, les sentimens et non les pensées, qui constituent l’homme religieux et politique ; le gouvernement et la religion. Aussi loue-t-il Bernardin de Saint-Pierre d’avoir dit : « Je suis parce que je sens et non parce que je pense. » Il y a dans tout cela un mélange d’aperçus justes et de jugemens faux qu’il importe de débrouiller. Oui, la religion, se manifeste d’abord chez l’homme par le sentiment ; un instinct irrésistible pousse l’homme à chercher quelque chose qu’il puisse aimer et vénérer. Quand il croit avoir fait cette conquête, il s’y attache avec amour, et, suivant une parole d’Origène, ce que l’homme aime par-dessus toute chose devient Dieu pour lui. Voilà le fondement de la puissance de la religion ; elle s’empare du cœur, et c’est par là qu’elle règne long-temps sans contradiction sur les volontés humaines. Cependant ce long acte de foi n’épuise pas l’activité de l’homme : après avoir satisfait le cœur, il éveille l’esprit, et c’est alors qu’on voit se produire non-seulement, les opinions, comme le pense M. de Bonald, mais les idées. La vérité est l’éternelle ambition de l’intelligence. Ni les émotions du cœur, ni les enchantemens de l’imagination, ne sauraient distraire ou apaiser cet insatiable désir qui pousse l’homme à la recherche des principes et des causes. Savoir est un besoin qui n’est ni moins vif ni moins profond que croire et aimer. Pour l’homme comme pour le genre humain, il arrive un moment où ils portent un œil sévère sur les objets offerts à leurs affections et à leur foi. Ils veulent voir les choses à nu ; ni les affirmations les plus triomphantes, ni les dogmes les plus impérieux, ne les persuadent ou les intimident ; ils entreprennent de tout juger par eux mêmes. Il serait bien imprudent de prétendre que cette maturité de l’homme et du genre humain est mortelle à la religion. Telle est cependant la conclusion où nous conduit M. de Bonald, quand il nous montre la société religieuse et politique compromise et menacée par la pensée et le raisonnement. M. de Bonald ne s’en est pas aperçu,