Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 8.djvu/61

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pays de violentes passions et de réactions fougueuses il y a deux ans, la ferveur mahométane se ralluma un instant d’une si énergique façon, que l’on vit de pieux croyans pénétrer de vive force dans les maisons des plus puissans, s’emparer brutalement des jeunes garçons incirconcis, les traîner à la mosquée, où des chirurgiens improvisés se chargeaient de les faire immédiatement rentrer dans les conditions rigoureuses de l’orthodoxie musulmane.

Nous avons, avec une scrupuleuse exactitude, raconté bien des folies, bien des nations européennes, même de celles qui avoisinent le Maroc. Il ne faut pas s’imaginer cependant que le mahométisme africain ne se soit pas le moins du monde relâché de sa vieille intolérance, et puis, d’ailleurs, on ne doit pas oublier, si dégénérés que soient les Arabes du Maroc, qu’ils sont les descendans directs de ces Maures d’Espagne qui, par leur habile et humaine politique autant que par leur courage, se sont pendant plus de trois cents ans maintenus au-delà du détroit. A Fez, à Méquinez, dans tout l’empire, en dépit de leur abjection sociale, les Juifs peuvent librement, si l’on excepte les jours de fête, où les excès de la débauche raniment et exaltent l’aveugle haine d l’étranger, se livrer à toutes les pratiques de leur culte ; il en est absolument de même des chrétiens, s’ils se soumettent aux lois du pays. Le Maroc est la seule contrée musulmane où, même durant les trois derniers siècles, juifs et chrétiens eussent le droit d’acquérir des maisons et des terres, la seule où, les jours de fête toujours exceptés, il leur fût possible de circuler parmi les populations sans trop avoir à craindre les exactions et les avanies. On ne doutera point enfin de la tolérance marocaine à l’égard des croyances et des religions étrangères, si l’on se rappelle ces couvens, dont nous avons déjà, parlé, fondés par le roi Charles III à Tanger, à Méquinez, à Tétuan. De tous ces couvens, un seul existe encore à Tanger, un couvent espagnol de franciscains, qui a bravement survécu à la destruction de son ordre. Les franciscains de Tanger, dont aucun voyageur n’a contesté les vertus ni le mérite, sont tombés, depuis les massacres de Madrid, de Murcie et de Valence, dans un profond dénuement. Ces pauvres moines d’Afrique, dont l’existence même est ignorée aujourd’hui en Europe, n’ont jamais connu l’opulence, ni par conséquent la corruption de leurs frères d’Espagne ; jusqu’à la fin, ils se sont consacrés au rachat des captifs et au soulagement de leurs misères. Parmi eux, d’ailleurs, la diplomatie européenne pourrait trouver d’excellens interprètes, et cette seule considération mériterait bien, ce nous semble, qu’on s’occupât sérieusement d’améliorer leur sort.

La musique instrumentale des Marocains se compose, aujourd’hui encore, comme à l’époque où les Arabes occupaient Cordoue ou Grenade, de l’étroite mandoline au son perçant, du violon à deux cordes, du tambour et de la flûte ; c’est surtout durant les pâques et les autres fêtes de l’islamisme que la jeunesse, d’une voix souvent très belle, très étendue, très expressive, chante ses interminables chansons de guerre ou d’amour. Bien de plus mélancolique