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ministère. Naturellement, ses plus vives alarmes sont de ce côté. Aussi, depuis la fin de la dernière session, il n’a rien négligé pour connaître les moindres démarches de certains personnages considérables qui ont le malheur de lui porter ombrage, même sans le vouloir. Son imagination inquiète et soupçonneuse les a suivis partout. A la ville, à la campagne, en voyage, ils ont partout rencontre sur leurs pas cette surveillance officieuse qu’il est de bon goût de tolérer dans un certain monde, et que les gens d’esprit supportent d’autant plus volontiers, qu’elle prend quelquefois pour se dissimuler à leurs yeux les formes les plus gracieuses et les plus séduisantes. Nous ne dirons pas là-dessus les choses curieuses que nous savons. Parmi les particularités du monde politique, ce ne seraient pas assurément les moins piquantes ; mais c’est un sujet qu’il faut à peine effleurer. Nous nous hâtons d’en sortir.

Depuis le retour du roi, plusieurs affaires ont été discutées dans le conseil. Une des plus importantes est la création des nouveaux pairs. Dans l’origine, on avait promis la pairie à plusieurs membres de la chambre des députés ; il paraît que la crainte d’enlever quelques voix, à la majorité empêchera le ministère de remplir ses promesses. Les députés désappointés seront-ils tous des partisans bien chauds ? Il est permis d’en douter. Du reste, si la résolution que prend le cabinet a pour résultat de diminuer le nombre des nouveaux pairs ; nous sommes sûrs qu’elle plaira au Luxembourg. Une autre affaire a occupé plusieurs fois le conseil, c’est la question de l’emprunt, liée à celle de la conversion. Dans le monde financier, on est certain que, si l’emprunt a lieu, la conversion ne se fera pas. Or, comme on connaît les graves obstacles qui s’élèvent contre la conversion, on croit généralement à l’émission de l’emprunt. Aussi la Bourse s’agite. La perspective d’un emprunt de 300 millions, jointe à celle de l’emprunt de la Hollande et aux actions des chemins de fer, exalte les cerveaux de la finance. L’emprunt se fera-t-il ou ne se fera-t-il pas ? Sera-t-il en 3 pour 100, sera-t-il en 4 ? Voilà ce que l’on entend de tous les côtés à la Bourse. D’où vient le retard qu’éprouve l’accomplissement de cette mesure ? est-ce M. Laplagne, est-ce le conseil qui hésite ? M. le ministre des finances est connu pour l’extrême circonspection qu’il met en toutes choses. Nous avons loué plus d’une fois sa sagesse administrative. Cependant nous ne voudrions pas qu’on pût l’accuser avec raison de pousser ici la prudence trop loin. Il est bon de réfléchir, mais il faut aussi savoir prendre un parti. Le moment n’est-il pas favorable à l’émission de l’emprunt ? Que peut-on gagner à attendre ?

Deux questions épineuses ont occupé le conseil : l’arrangement avec l’Angleterre sur le droit de visite, et la dotation. L’approche de la session appelle sur ces deux objets un intérêt très vif. Ce sont des points sur lesquels le ministère est diversement engagé, ici avec la couronne, là avec les chambres. Comment remplira-t-il ses engagemens ? Comment parviendra-t-il à concilier ses intérêts et son honneur ? On parle déjà de dissentimens provoqués dans le conseil par ces deux questions ; mais rien n’a transpiré sur la solution qu’elles