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le sultan est en secret le complice. Le temps viendra où Abderrahman s’enrichira par la fraude qu’il se fait à lui-même bien plutôt que par sa douane et par les exactions de son fisc.

Chaque ville maritime a sa douane, dirigée par un amin (administrateur des rentes) ; presque partout aujourd’hui ce sont les pachas eux-mêmes qui remplissent les fonctions d’amin. Tous les jours, dans les villes des côtes de l’Océan et de la Méditerranée, le pacha lui-même, de neuf heures du matin à trois heures de l’après-midi, se rend à sa douane, assisté de deux secrétaires, d’un jaugeur et de vingt-deux soldats. Le jaugeur est un des principaux habitans de la ville, et comme le pacha, il exerce des fonctions gratuites, mais on sait comment se paient de leurs services les officiers et les employés marocains ; les deux secrétaires jouissent d’un traitement mensuel de cinq duros[1]. Les douanes du Maroc se distinguent fort peu, du reste, par leur magnificence ; ce ne sont pour la plupart que des édifices délabrés et croulans où l’on pratique une pièce étroite, obscure, incommode, pour le pacha, le jaugeur et les soldats. Dans quelques villes c’est en plein air, entre quatre murailles formant une cour carrée, que s’installent les fonctionnaires arabes. Gravement assis sur le sol et les jambes croisées, le pacha fume sa pipe tandis que le jaugeur estime au hasard les marchandises, que les secrétaires les inscrivent sur de mauvais registres, et que les soldats perçoivent les droits, dont pacha, jaugeur, secrétaires et soldats s’approprient au moins une bonne moitié.

Le commerce maritime du Maroc est d’environ 250,000,000 de réaux, ou de 50 millions de francs. C’est l’Angleterre qui, par Gibraltar, en fait les deux tiers ; le tiers restant se répartit d’une façon inégale entre les autres puissances chrétiennes et les deux régences de Tunis et de Tripoli. Dans ces derniers temps, le port de Marseille a établi avec le Maroc des relations suivies et fréquentes, et l’on affirme qu’en 1843 ces relations ont représenté une somme de six à sept millions. Quant au commerce du continent africain, il se fait encore au Maroc par caravanes. Tous les ans, le Sahara est traversé par six grandes caravanes qui d’ordinaire emploient de deux mille cinq cents à trois mille chameaux, portant du littoral aux pays lointains de l’intérieur de l’Afrique. Les marchandises et les produits de l’Europe, et ceux

  1. Depuis que, par nos conquêtes d’Afrique, nous sommes arrivés aux frontières de l’empire, Abderrahman a cherché à répandre sa monnaie dans nos possessions ; il n’est donc point sans à-propos de faire connaître le rapport exact de cette monnaie avec la nôtre et avec celle d’Espagne. Le bandqui d’or vaut 2 duros ou 10 fr. ; le bandqui d’argent, 13 réaux de veillon ou 2 francs 1 cent. environ ; le flous de cuivre, 4 maravédis, ou un peu moins de 8 deniers. Il existe en outre au Maroc des monnaies imaginaires, comme le blanquio, qui vaut 12 maravédis, et le demi-blanquio, qui en vaut 6. Les monnaies de métal sont grossièrement, frappées ; rien de plus facile que de les altérer ou de les contrefaire ; toutes d’ailleurs sont bien au-dessous de leur valeur nominale. A Tetuan, à Tanger et dans les autres villes, les négocians eux-mêmes fabriquent la monnaie de cuivre, sous le bon plaisir de l’empereur, qui se réserve la fabrication des monnaies d’or et d’argent.