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de l’Arabe marocain, et non point le chameau, qui rarement se rencontre dans les provinces du nord ; le chameau ne respire à l’aise que si le désert lui envoie son haleine embrasée ; il n’aborde au Maroc que dans les districts lointains qui avoisinent, la solitude immense des sables. A la mule et au cheval il faut joindre une excellente espèce d’ânes, accorte, éveillée, vigoureuse et rapide comme le cerf. Nous ne nous étendrons pas davantage sur les richesses que la nature a prodiguées au Maroc, nous ajouterons seulement que de leurs plages méditerranéennes, ou bien encore à Rabat ; Salé, et des autres ports des côtes de l’Océan, les Maures pourraient faire des pêches aussi abondantes que celles qui se font à Gibraltar ou à Ceuta, si au lieu de harpons incommodes ils savaient employer cet ingénieux système de filets dont se servent les pêcheurs européens. Les Marocains songent : si peu à tirer parti de leurs poissons de mer, qu’ils ne salent pas même et laissent toujours s’avarier les légions de sardines que leur jettent pour ainsi dire la Méditerranée et l’Océan. Dans les rivières de l’intérieur foisonnent les anguilles, les tanches, les tortues, et en général, les meilleurs poissons des rivières d’Europe ; mais les Arabes du Maroc descendraient en ligne directe des anciens habitans de l’Inde ou de l’Égypte, qui regardaient chaque poisson comme un être divin et chaque fleuve comme un temple qu’ils n’auraient pas une plus grande répugnance pour la pêche de rivière : leurs poissons mourraient de vieillesse, et se multiplieraient au point d’obstruer jusqu’aux canaux d’irrigation, n’étaient les chrétiens et les juifs qui en prennent des quantités prodigieuses, et dans plusieurs provinces en font leur principal aliment.

Malheureusement le despotisme marocain gouverne le climat et le sol, comme il gouverne les populations. D’un district à l’autre d’une ville à l’autre les communications demeurent interrompues pendant des années entières ; le gouvernement lui-même s’attache à rendre extrêmement difficiles les correspondances particulières ou plutôt à les supprimer. On ne peut envoyer ni recevoir le plus simple message si d’abord on n’en donne pleine connaissance à l’empereur ou aux dépositaires de sa terrible puissance, pachas, kalifas et cadis. S’il ne veut tomber entre les mains des brigands, l’Européen qui s’aventure un peu au-delà des villes maritimes ne doit voyager qu’avec une forte et coûteuse escorte : quatre cavaliers montés à la légère prennent les devans pour reconnaître les vallées et les plaines ; quand le pays n’est point découvert, ils attendent, cachés parmi les aloës et les lentisques, à tous les endroits périlleux, que leurs compagnons les aient pu rejoindre. Jusqu’à ce qu’on soit arrivé au terme du voyage on se garderait bien de négliger une pareille précaution. Point de chemins, si ce n’est d’affreux sentiers que les intempéries des saisons dégradent chaque jour davantage ; point de pont sur les fleuves ni sur les plus petites rivières ; s’il survient une pluie abondante, un débordement, un orage, les relations entre les deux rives sont brusquement interrompues, à moins qu’au péril de la vie on ne risque la traversée a l’aide d’outres gonflées de vent. Point de chars ni de voitures ; ce sont les