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sa justice distributive et de redresser quelques-unes des assertions dédaigneuses que se permet volontiers la morgue un peu impertinente des vainqueurs. En résumé, toutefois, il faudrait bien conclure que, si cette école de Louis XIII eût décidément triomphé, Jodelet demeurait possible, mais qu’Athtalie ne l’était pas. Peut-être est-ce là précisément ce qui vaut à Théophile et à Saint-Amant la reconnaissance des néo-romantiques. C’est un point que je ne m’aviserai point de contester. Voyons seulement en fait ou cela menait.

Et d’abord, pour avoir le droit de donner tort aux vers ridicules et coriaces de Nicolas Boileau, il faudrait avoir le courage d’accepter tout entière l’école qu’il a détrônée, car vraiment il serait trop commode de puiser, des objections dans un éclectisme arbitraire qui isolerait quelques talens de leur grossier entourage, et qui détacherait çà et là quelques fragmens heureux du maussade fatras où ils sont enfouis. Osez donc aller au bout ! Donnez raison au marinisme quintessencié des ruelles contre les disgraces discrètes de Mme de Sévigné, aux dix tomes de l’Astrée contre le petit volume de la Princesse de Clèves, à l’afféterie de Voiture contre la sobriété forte de La Bruyère, au style chamarré des gongoristes contre le tour naturel des écrivains de Louis XIV, aux tragi-comédies, enfin, contre ce méticuleux et froid Racine, qui, mutilant la nature humaine, abandonnait à Molière la peinture de l’autre moitié de la vie. Voilà où pousserait une franche logique. Certes Mme de Rambouillet avait autant d’esprit que Théophile de verve, et l’imagination ne faisait pas plus défaut à d’Urfé que l’humour à Saint-Amand ; je ne vois aucune raison de s’arrêter. Pourquoi dont M. Gautier, qui se moque lui-même sans trop de façon des Scudéry et des Colletet, lesquels furent des grotesques sans le vouloir, traite-t-il sérieusement de très grands poètes Théophile et Saint-Amant, lesquels furent des grotesques de parti prix ? N’y aurait-il pas dans une adhésion si complète quelque chose de ce que Bentham appelle l’intérêt bien entendu ? L’égoïsme littéraire est le plus raffiné de tous. Cette apologie ne serait-elle qu’un ouvrage avancé, une sorte de fort détaché qu’on voudrait construire dans les gorges de la vieille littérature pour couvrir des constructions modernes maintenant battues en brèche, et qui menacent ruine ? Voyons un peu.

La tentative, à vrai dire, n’est pas malhabile, seulement il faudrait qu’elle réussit. L’effort du romantisme a été double : il y a eu ce que j’appellerai l’innovation lyrique et l’innovation grotesque ; la première a réussi, la seconde a avorté. Tel est du moins l’avis de la critique, et c’est ici qu’elle se trouve en dissentiment complet avec les obstinés du