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élancés, y sont mieux entretenus qu’à Murcie même ou Valence, que la végétation y est plus rayonnante et plus vigoureuse, les fruits plus gros, plus savoureux et d’un arome plus pénétrant. A vrai dire, il n’y a de bien entretenu au Maroc que les canaux d’irrigation, qui sont l’objet d’un chapitre spécial du Koran. La plupart des hertas sont si mal cultivées, qu’au bout d’un certain temps les jardins se convertissent tout natuellement en prairies ; les hautes herbes y étouffent les orangers et les autres arbustes : rosiers, grenadiers, et toutes les fleurs rares qui au Maroc revêtent des couleurs splendides, disparaissent à la longue sous les mauves, les ortiers blanches et rouges, les rudes scabieuses et les autres filles vigoureuses de la flore champêtre et sauvage, qui en Afrique se reproduisent et se développent plus promptement et plus énergiquement encore que dans notre midi.

Pour faire la fortune du Maroc, il suffirait des potagers qui entourent les villes, où croîtraient aisément toutes nos plantes légumineuses, mais qu’une culture paresseuse et inintelligente réduit à n’être que d’arides pelouses et des halliers épineux, où rampent, s’agitent, bavent et sifflent incessamment, sur les bleues et blanches ardoises que fait resplendir le soleil, des républiques entières de lézards et de serpens. La nature a tout fait pour l’homme dans ce pays, où il suffit de dégager le sol et de l’entr’ouvrir pour développer les germes féconds ; mais l’homme s’y est fait une telle habitude de l’abjection et de la misère, que, s’il lui en doit coûter la moindre fatigue, la pensée ne lui viendra pas d’en sortir. C’est au hasard que l’on y sème le blé, le maïs, l’avoir et les autres céréales ; c’est au hasard qu’on les recueille avec une multitude de graines mauvaises qui semblent être l’objet principal de la culture et de la moisson. Point d’engrais, pas le moindre aménagement pour les terrains qu’on épuise, tandis que tout à côté s’étendent de vastes plaines incultes ou errent, parmi les broussailles, les taureaux à demi sauvages et les chevaux indomptés. La moisson se fait à l’aide de faucilles extrêmement petites qui rendent la besogne si longue, qu’on se rebute avant d’en être venu à bout ; le blé se coupe à mi-tige, ou, pour mieux dire, on se borne à couper les épis qui dépassent les herbes mauvaises ; et, comme on n’entreprend l’œuvre qu’à la dernière extrémité, au moment où les épis, trop mûrs et gonflés outre mesure, laissent de toutes part échapper le grain, presque tous déjà sont à demi vides quand on les entasse sur les chariots qui les doivent transporter au village. En dépit d’une si stupide négligence, les céréales du Maroc sont d’une qualité supérieure ; mais on connaît si peu les moyens de les conserver, qu’avant l’exportation ou la consommation qui s’en fait sur place, elles finissent presque toujours par subir une avarie complète : ce n’est que dans les villes ou dans les villages situés aux environs des villes qu’on les enferme en des chambres bien closes. Les plus prévoyans les enterrent dans de grands paniers d’osier ou de paille ; c’est le seul moyen de les soustraire à l’avidité des pachas, quand pour l’entretien de la maison du sultan, pour la nourriture des troupes, et sous vingt autres prétextes, les