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magnifique miroir des eaux du fleuve, que sillonnent les roues de nombreux pyroscaphes. C’est à bord de l’un de ces bâtimens que monta le prince Maximilien pour descendre l’Ohio et se rendre à Saint-Louis en remontant le Mississipi. Ces deux grandes rivières, à leur confluent, sont d’égale largeur. Leurs rives, couvertes de forêts à demi renversées par les tempêtes et la crue des eaux, présentent un spectacle fort agreste. Des plantes rampantes s’enroulent autour des arbres couchés comme le fil autour d’un fuseau. Ces arbres renversés encombrent le lit des deux fleuves au point que dans certaines parties on ne peut voyager que de jour. Ces troncs arrêtés dans la vase s’appellent snags, et sont un des plus sérieux obstacles que présente là navigation de ces grandes rivières. Aussitôt qu’on est entré dans le Mississipi[1], les rives se couvrent de rideaux de grands peupliers. Tous ces arbres, d’une hauteur parfaitement égale, caractérisent les paysages du Mississipi et du Missouri inférieur, dont la civilisation n’a fait que modifier la physionomie sauvage et magnifique. Des rochers de forme singulière alternent avec les forêts, et les villages, les établissemens (setlle-mens), n’apparaissent qu’à d’assez grands intervalles.

Aux approches de Saint-Louis, le pays se dépouille et perd son caractère pittoresque. Centre du commerce de l’Ohio, du Mississipi et du Missouri, cette ville est en progrès et tend nécessairement à acquérir une grande importance. En 1764, ce n’était qu’un fort construit par les Français, à la limite du désert ; en 1806, elle renfermait 2,000 habitans, aujourd’hui elle en compte 8,000, et sa population s’accroît rapidement chaque année. C’est à Saint Louis que se trouve le bureau des affaires indiennes de l’ouest. Lorsque le prince Maximilien de Wied-Neuwied s’y arrêta, le directeur de cet établissement était le célèbre Clarke, qui, dans les années 1804 et 1805, fit, d’après les ordres du président Jefferson, et en compagnie du capitaine Lewis, un voyage à l’embouchure de la Colombia, où Orégon, traversant le continent américain sur une étendue de quatre mille cent trente-trois milles, remontant le Missouri jusqu’à ses sources, et franchissant le premier la chaîne de Montagnes Rocheuses. Le général Clarke accueillit avec la plus franche hospitalité le prince voyageur, et l’engagea, peu de jours après son arrivée, à assister aux conférences qu’il devait avoir avec les députations des Indiens Sakis et Fox. Ces députés venaient intercéder en faveur du grand chef Black Hawk, le Faucon Noir, alors détenu dans les casernes de Jefferson près de Saint-Louis.

  1. Missi, grand ; sibi ou sipi, fleuve.