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sont beaucoup plus nombreuses que la nation russe, et toutes ont contre la Russie de des intérêts communs. Sans prétendre l’exterminer comme le voulait la Pologne, toutes pensent à la restreindre en ses limites naturelles, et veulent réduire à de justes bornes ses prétentions.

C’est précisément parce que le monde gréco-slave forme une grande unité morale, que l’autocratie russe est sans avenir, car dans cette unité, qui est désormais l’unité orientale, les nations gréco-slaves veulent toutes être représentées, chacune avec ses besoins, avec son génie propre, et elles ne le seraient pas en se laissant incorporer à la Russie. Cette unité orientale, qui, tant qu’elle était opprimée, garantissait à la Russie, sa seule protectrice, une espèce de pouvoir dictatorial, devra reprendre au tsar une grande partie de son pouvoir, du moment qu’elle sera reconnue par l’Europe, comme un pupille retire ses biens des mains de son tuteur, dès qu’il a atteint sa majorité. En vertu de leur unité morale, les peuples gréco-slaves, entraînés tous par un même désir de liberté glorieuse et d’influence sur les destinées du monde, s’entendront pour réagir contre la prétendue unité de l’autocratie. Ces peuples ont tous juré de reconquérir leur indépendance. Un tel concert d’efforts ne finira-t-il pas par entamer la Russie elle-même ? Ne faudra-t-il pas alors qu’elle se décentralise, et reconnaisse jusque dans son propre sein les nationalités qu’elle prétend absorber ? Quand on pense que de tels résultats seraient le fruit d’un simple appui moral prêté par l’Europe aux Gréco-slaves, on ne peut s’empêcher de gémir sur l’indifférence obstinée avec laquelle on a contemplé jusqu’à ce jour les luttes glorieuses de ces peuples. N’est-ce donc rien que ces nationalités démembrées qui, en Turquie, en Autriche, en Prusse, en Russie, s’agitent pour reprendre leur place dans le monde ? Il serait temps qu’on tournât les regards vers ces régions encore si peu connues où semble devoir se vider la question d’équilibre pendante entre la Russie et les puissances d’Occident. En écartant même l’intérêt politique, ce réveil d’une race jeune et puissante, que ses destins appellent à rendre à la civilisation orientale ses splendeurs évanouies, présenterait encore assez de grandeur pour captiver nos regards et mériter nos sympathies.


CYPRIEN ROBERT.