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peuple mixte, les Tsintsars, qu’on évalue à six cent mille individus. Parlant à la fois grec et slave, appartenant par ses mariages, ses liaisons, ses intérêts de commerce, aux deux races, ce peuple métis, qui parcourt toute l’Europe, a contribué beaucoup à y décréditer les Grecs, dont il n’a guère que les défauts, sans les qualités. Le Tsintsar et le Fanariote sont les deux génies funestes de la Romélie : l’un, par ses liaisons d’argent et d’amitié avec les marchands d’Autriche, l’autre, par sa servilité vis-à-vis de la Porte, ont constamment paralysé les efforts tentés par les Roméi pour conquérir la liberté. Eux seuls prolongent la durée du joug turc. Le royaume actuel de l’Hellade comptait jusqu’en 1833 peu de Fanariotes et de Tsintsars parmi ses habitans ; c’est là une des causes auxquelles il doit son indépendance.

Le second élément de la nationalité hellénique est représenté par le royaume d’Athènes. Ce petit état a chèrement payé les garanties diplomatiques assurées par l’Europe à son gouvernement. L’intervention des trois puissances en sa faveur réduisit à huit cent quarante mille citoyens la population d’un état qui comptait plus de deux millions d’habitans, et s’étendait de Candie jusqu’en Macédoine et en Epire. On répondra que cette Hellade officielle, dont on a posé les limites tellement en-deçà des frontières véritables de l’Hellénie, présente néanmoins une superficie de onze à douze cents milles géographiques carrés. Ce territoire, dit-on, pourra nourrir un jour de six à huit millions d’habitans, même, en ne le supposant peuplé que dans la proportion où l’est l’Europe occidentale, proportion qu’il est facile d’atteindre dans un pays aussi fécond, aussi merveilleusement situé que l’Hellade. — Cette observation n’est pas entièrement juste : sans doute l’Hellade devra prospérer avec une grande rapidité dès qu’elle sera constituée dans ses limites naturelles ; mais le peut-elle, tant qu’elle sera séparée de la Thessalie, de l’Épire et de la Macédoine méridionale ? Ces trois provinces, essentiellement agricoles, où languissent sept cent mille laboureurs grecs de race pure, sans compter les Vlaques et les Tsintsars, ces provinces sont les greniers de l’Hellade. De tout temps, elles ont fourni les matières premières à la Grèce manufacturière et maritime. Retenir sous le joug turc ces provinces nourricières ; c’est donc interdire à l’Hellade de prospérer. On veut qu’elle ait une grande industrie, qu’elle se couvre de fabriques, et elle ne peut se procurer en quantité suffisante des matières brutes pour la fabrication. Si l’Europe craint d’augmenter outre mesure les forces de l’Hellade en lui accordant les trois provinces qu’elle réclame,