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Il n’y a pas dans l’échelle de la civilisation de degré où ne se rencontre assise quelque tribu rattachée par l’origine ou par un lien moral au monde gréco-slave. On retrouve toutes les superstitions de l’Indostan et des antiques Parsis chez les Bachkirs de la steppe et les Guèbres de la Caspienne. Le Sibérien idolâtre qui a laissé ses rennes du côté de Tobolsk se croise, dans les capitales russes, avec le Tchernomortse musulman qui a laissé ses chameaux endormis au pied des mosquées du Caucase. Pendant que les Samoïèdes et les Tongouses vivent encore à peu près comme les sauvages d’Amérique, voyez lutter et gémir, au sein d’une civilisation comparable à la nôtre, la grande victime des rois et de la diplomatie, la généreuse Pologne. Opprimée, foulée aux pieds, cette France gréco-slave est encore plus belle, plus riche d’enthousiasme, plus patriotique, plus fière même que ses oppresseurs. Celui qui visite Varsovie, qui voit son mouvement littéraire et commercial, la grace exquise de ses femmes, l’élégance et la distinction des plus simples ouvriers, se croit transporté à Dresde ou à Florence.

Quels contrastes de mœurs, et cependant quelle ressemblance intime entre la race chevaleresque des Polonais et les Grecs, ces philosophes de la mer et du commerce, qui unissent le génie positif et calculateur des races marchandes au mystique enthousiasme des peuples artistes : doux et caressans comme des femmes, obstinés et tenaces comme des lions ! Quelques points de la terre gréco-slave, comme Syra, Chio, Samos, Candie, sont à ranger parmi les lieux les plus fréquentés du globe, tandis qu’au fond des continens se cachent des royaumes tellement écartés de toutes les grandes routes du commerce, qu’ils peuvent à peine connaître l’état du reste du monde. Voyez le royaume de Gallicie, encaissé au milieu de ses montagnes, et de plus, séquestré par des lignes de douanes inflexibles : ne dirait-on pas un prisonnier dans son cachot ? Et la Bohême, qu’enveloppe de tous côtés le rempart de granit des Sudètes et de l’Erzgebirge, cette Bohême solitaire ne semble-t-elle pas une cellule d’ermites, une retraite de philosophes ? Aussi, malgré la richesse de son développement intellectuel, malgré son industrie immense et la profondeur métaphysique de ses pensées, le peuple, en Bohême, se ressent de l’isolement, contemplatif où il vit. Allez plus loin, cherchez le Finnois acculé aux solitudes éternelles de la zône glaciale ; placez cet homme austère, qui vit, souffre et meurt dans ses brouillards sans presque rien connaître du reste du globe, placez-le en face du Slave danubien qui a sa hutte au bord du grand chemin continental ouvert par la nature entre l’Europe