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montagnes de la Grèce. Parcourez la steppe, vous y serez assaillis par des tempêtes de sable comme dans les déserts de la Syrie ; des trombes s’y élèvent qui changent subitement l’aspect des lieux, dérobent à d’énormes distances la vue des chaussées impériales, et enterrent même des caravanes sous leurs monceaux de sable. Les phénomènes du mirage se reproduisent dans la steppe comme autour de Palmyre ; enfin les lacs salins de la Caspienne ne sont pas moins merveilleux que le Méroë et les plaines de sel de l’Égypte.

Enfoncez-vous dans le nord russe : vous trouverez au-delà du Volga une nature aussi vierge que la nature américaine. Quoi de plus poétiquement sauvage que la Finlande ? Ses montagnes noires et dépouillées de toute verdure n’ont pas sans doute le charme de celles de la Suisse, mais elles les surpassent par leur majestueuse horreur. Ces roches irrégulières croisant partout le cours des eaux produisent des milliers de cataractes effrayantes. Celle d’Imatra formée par la chute d’un fleuve plus large que la Seine à Paris, se précipite d’une hauteur de 300 toises. Des torrens dont les eaux noires, chargées d’une écume verte, tourbillonnent au fond des abîmes, des bruits de cascade mêlés aux hurlemens confus des ours et des loups qui s’entredévorent, une terre qui a la couleur du fer, des granits qui ont la dureté du diamant, un ciel composé de vapeurs grises, une végétation écrasée par la violence des vents : tels sont les sites finlandais.

L’aspect de la Sibérie est encore plus étrange. Ce pays, qui, à lui seul, est dix-sept fois grand comme la France, renferme des horreurs et des beautés naturelles semblables à celles que M. de Châteaubriand a idéalisées dans les Natchez et dans Atala. D’immenses forêts primitives, où le sauvage seul a quelquefois mis le pied, couvrent les montagnes. À la base de ces plateaux dépouillés se déroulent des savanes à perte de vue, sans aucun habitant, et des marais vastes comme des mers, peuplés seulement d’oiseaux aquatiques, dont une foule sont encore inconnus au naturaliste. Le lac Baïkal, qui a 175 lieues de long sur 30 de large, offre le long de ses rives des scènes aussi imposantes que celles du Canada et du fleuve Saint-Laurent. Autour de ce beau lac se sont accomplies jadis des révolutions inconnues, dont tout le pays a conservé un vague et formidable souvenir : on peuple les forêts qui l’entourent de tout une race de génies invisibles ; leurs exploits et leurs malheurs ont inspiré une longue série de chants populaires. Les Sibériens appellent le BaïkaI la mer sainte ; il est pour eux ce qu’est pour les Grecs et les Vlaques de l’Épire le terrible lac Averne. L’indigène n’aborde qu’avec une religieuse terreur l’un et