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Ce n’est pas que la loi monétaire ait la puissance de faire prévaloir, même dans le pays où elle règne, le rapport qu’elle établit. Le commerce ne tient pas compte de ces fixations arbitraires. Ainsi, quoique la loi française ait adopté le rapport de 15 1/2 à 1, ce n’est pas à dire que le commerce français s’y tienne ; il s’en écarte, au contraire, fort librement, pour suivre avec plus ou moins d’exactitude celui qui prévaut dans les états voisins. A cet égard, la loi est impuissante là même où l’on pourrait croire que son empire est absolu ; mais il est facile de comprendre qu’elle gêne en cela les transactions, surtout quand elle est impérieuse et jalouse. Outre qu’elle est vraiment obligatoire dans certains cas particuliers, elle est toujours fâcheuse. Elle ne fait pas qu’un métal descende, dans le rayon où elle s’exerce, au niveau trop bas qu’elle établit, mais elle l’empêche de se placer librement, couramment, pour sa valeur réelle. C’est assez pour qu’elle en resserre la circulation, et qu’elle le force à chercher un placement plus avantageux ou plus sûr à l’étranger.

Les faits ne manquent pas pour mettre cette vérité en évidence. Avant la refonte de 1785, l’or, estimé trop bas par la loi monétaire, s’écoulait au dehors, ainsi que l’atteste la déclaration du roi que nous avons déjà mentionnée ; « ce qui a fait naître, est-il dit, la spéculation de les vendre à l’étranger. » « Le préjudice qui en résulte, ajoute la déclaration, pour plusieurs genres de commerce, par la diminution déjà sensible de l’abondance des espèces d’or dans notre royaume, a rendu indispensable d’en ordonner la nouvelle fabrication, comme le seul moyen de remédier au mal en faisant cesser son principe. » Plus tard, un mouvement contraire se manifesta. Par une conséquence naturelle du revirement que nous avons signalé tout à l’heure dans le rapport des métaux, l’or revint en abondance dans la circulation française, et l’argent fut exporté à son tour. C’est ce qu’atteste encore le rapport de M. Lebreton. « Les inconvéniens de ce défaut de proportion sont que celui des deux métaux dont la valeur est trop élevée, relativement, nous est apporté par le change étranger, qui retire, par son moyen, une valeur réelle plus considérable dans l’autre métal ; et comme c’est l’or qui se trouve élevé par la proportion établie depuis 1785, on retire l’argent, qui est plus utile dans la circulation, et on nous envoie de l’or. Ce vice, combiné par les changes, doit causer une perte au commerce général. » Ainsi l’or avait alors remplacé l’argent, et les hommes dont les souvenirs se reportent jusqu’à cette époque peuvent encore en rendre témoignage. Mais un nouveau changement s’est opéré dans la suite, et l’argent a si bien repris son ancienne place,