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cet insaisissable rapport commercial ne fait pour ainsi dire que l’en éloigner et lui préparer de nouveaux mécomptes. Vainement compterait-on aujourd’hui sur cette proportion de 15 ¾, que les financiers admettent depuis plusieurs années comme une moyenne ordinaire. Quelque régulière qu’elle nous paraisse, les variations accidentelles n’ont pas manqué. Toutes les fois, par exemple, que l’Angle terre est obligée de faire sur le continent des achats considérables et imprévus, comme ils sont toujours payés en or, le rapport baisse : c’est ce qui arrive particulièrement dans le cas assez fréquent d’une disette de céréales. Ainsi, en 1840, la récolte ayant manqué dans ce pays, on fit d’énormes achats de blé en Belgique et en Allemagne. Alors le numéraire anglais s’épuisa si bien, que la banque de Londres fut obligée d’avoir recours à celle de Paris pour renouveler sa réserve. Par une conséquence naturelle, le prix de l’or baissa sur le continent ; mais deux ans après l’équilibre était rétabli : déjà les caisses de la banque de Londres regorgeaient d’or, et ce métal avait repris son niveau dans le reste de l’Europe. Au milieu de ces fluctuations continuelles, comment veut-on que la loi monétaire trouve, pour asseoir ses proportions, une base régulière et solide ? Il est donc impossible d’établir entre les monnaies d’or et d’argent une proportion légale qui soit toujours exacte. Avec quelque soin qu’on l’ait calculée, tôt ou tard entre elle et la proportion commerciale le désaccord se manifeste. Dès-lors il arrive toujours que l’un des deux métaux est estimé et tarifé par la loi au-dessous de sa valeur réelle.

Quant aux conséquences d’un tel état de choses, il est facile de les pressentir. Celui-ci des deux métaux auquel la loi monétaire n’a pas donné toute sa valeur, ne trouvant plus à s’échanger qu’avec désavantage dans le pays, tend naturellement à en sortir, pour aller chercher des conditions meilleures à l’étranger, tandis que l’autre vient affluer sur le marché par des raisons contraires. Il se forme sur ces métaux une spéculation en quelque sorte double. On exporte l’un et on importe l’autre. Par exemple, dans l’état présent de la législation française, où l’or n’est estimé valoir que 15 ½ en argent, tandis qu’en réalité il vaut 15 3/4, on l’achète sur le marché français au taux fixé par la loi, et on va le replacer pour sa valeur réelle à l’étranger. Après avoir réalisé ce bénéfice, on peut encore, par une opération inverse, acheter au dehors, pour une livre d’or, 15 livres 3/4 d’argent, et, rapportant cette somme en France, l’y faire valoir pour une quantité d’or plus forte. Tout l’or se retire du marché ; l’argent l’y remplace. Le pays perd la différence, dont l’étranger profite.