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Les Juifs du Maroc ont pour ascendans directs les Juifs chassés d’Italie en 1342, des Pays-Bas en 1350, de France et d’Angleterre en 1403, d’Espagne en 1492, de Portugal en 1496. En butte aux mauvais traitemens, aux avanies, aux injures, les Juifs ne s’en sont pas moins rendus maîtres du commerce intérieur et extérieur, du pays entier, pour tout dire, par la persévérance de leur avarice, de leur souplesse et de leur cupidité. Les musulmans s’aperçoivent d’une si étrange domination : ils s’en indignent et redoublent de cruautés et de mépris ; mais que peuvent la brutalité sur l’hypocrisie et l’astuce, l’orgueil sur l’intérêt, la tyrannie besogneuse sur la servitude opulente ? Malgré qu’ils en aient, les musulmans subissent l’empire des Juifs Dans une seule circonstance, les sectateurs de l’islam se relâchent de leurs dédains et de leurs rigueurs envers les disciples de Moïse. Quand la guerre où la peste désole l’empire, quand on redoute une grande calamité publique, le sultan ordonne que, pour apaiser ou détourner la colère du ciel, on fasse des prières dans toutes les mosquées. Si méprisés, si détestés qu’ils soient, les Juifs sont alors, de la part des pachas et des cadis, l’objet des sollicitations les plus vives et des plus sincères prévenances ; on ne leur ordonne point, on les supplie de vouloir bien, dans leurs synagogues, prier Dieu de se montrer miséricordieux envers toute créature humaine vivant sous la loi du sultan. Couverts de cendres et les habits déchirés, exténués par les macérations et les jeûnes, Israélites et musulmans parcourent en procession les villes et les campagnes ; Maures et Juifs n’abandonnent les mosquées et les synagogues que pour vaquer aux soins indispensables de la vie ; ils passent les journées entières à gémir et à se meurtrir le front, les uns sur la tombe de leurs xherifs et de leurs santons ; les autres dans les caveaux où reposent leurs sages et leurs plus illustres docteurs. Mais quand la terreur publique s’est enfin dissipée, les Juifs ont soin de se tenir cachés pendant quelques semaines ; honteux d’avoir associé à leur douleur ou à leurs larmes ces enfans dégradés de Moise, les fiers musulmans, s’ils les rencontraient dans le premier moment de l’humiliation et de la colère, leur feraient expier chèrement d’avoir osé implorer, pour la grande famille privilégiée du prophète, la clémence d’un Dieu qui les a reprouvés.

Les Juifs du Maroc ne sont pas tous, du reste, d’origine européenne. Un très grand nombre, si l’on en croit M. Calderon, — et ceux-ci forment des tribus isolées au milieu des Amazirgas, — sont venus de l’Asie ; eux-mêmes, à l’époque où nous sommes, dit l’écrivain espagnol, se donnent encore le nom de Palestins. A quelle époque s’est accomplie cette émigration mystérieuse ? On l’ignore, et qui jamais le pourra savoir ? Don Serafin Calderon ne serait point surpris que leurs ancêtres eussent poussé jusques-là, lors des persécutions assyriennes ; mais il se hâte d’ajouter qu’il est impossible d’invoquer une preuve à l’appui d’une si hardie assertion nous croyons, quant à nous, que l’on peut, sans trop sacrifier à la manie du paradoxe, voir en eux les descendans des plus anciens habitans du pays, ni plus ni moins que les Amazirgas, auxquels ils ressemblent de tout point, pour les mœurs et les