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l’industrie et du commerce, l’habitude de comparer toutes les marchandises, toutes les richesses, à ce type commun, la monnaie, ayant fait croire que la monnaie constituait la seule ou la véritable richesse d’un peuple, on s’était ingénié avant tout à trouver les moyens de multiplier, d’accumuler chez soi cette marchandise unique, ou tout au moins de conserver intacte toute la somme qu’on était parvenu à s’assurer. Qui pourrait dire combien de lois ont été faites en vue de ce bienfait imaginaire ? Mais le défaut seul de réflexion avait pu faire prévaloir cette idée bizarre ; un examen plus sérieux des élémens constitutifs de la richesse a suffi pour la dissiper. On n’a pas tardé à comprendre que la richesse d’un peuple ne consiste pas dans la possession de telle marchandise plutôt que de telle autre, qu’elle se compose de l’ensemble, de la somme totale des agens industriels et des produits qui, sous des formes infiniment diverses, contribuent à la satisfaction de nos besoins. On a compris en outre qu’il ne convient pas à une nation d’affectionner telle forme de la richesse plutôt que telle autre, et de tenter de la fixer chez elle au-delà de la mesure nécessaire, puisqu’enfin cette marchandise particulière ne peut être acquise que par le sacrifice d’une autre plus précieuse ou plus utile.

Un examen plus attentif a bientôt conduit à une autre vérité plus subtile ou plus haute. C’est que le résultat qu’on s’était proposé d’abord est matériellement impossible à réaliser. La somme de numéraire qu’une nation possède est nécessairement, et, pour ainsi dire, fatalement déterminée par les besoins réels de sa circulation ; elle ne saurait du moins jamais l’excéder d’une manière notable et constante. C’est qu’en effet la somme qui excéderait ces besoins ne trouverait de placement nulle part. Quel est, parmi les individus ou les corps dont une nation se compose, celui qui consent à garder par devers lui une masse de numéraire inutile ? Aussitôt que la quantité de monnaie qu’il possède suffit au courant de ses affaires, il repousse l’excédant, soit en se hâtant de lui trouver un placement utile, au lieu de le laisser dormir dans ses coffres, soit en le convertissant en marchandises ou en agens reproductifs. Chacun, dans un pays, raisonne et agit dans le même sens. Nul ne veut se charger du poids d’une monnaie qui resterait improductive entre les mains. Il accepte sans doute, quand il la reçoit pour prix de ses labeurs ou en échange de ses produits, mais non pour la laisser inactive ; il n’en garde dans ses caisses qu’une portion quelconque, mesurée sur ses besoins ordinaires, et se hâte de se défaire avantageusement du reste. S’il en est ainsi de chaque individu et de chaque corps, il en est de même d’une nation entière, car