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rayons coïncident, un être qui ait simultanément connaissance de toutes ces choses ; je suis en même temps, mais séparément, un organe ou une portion d’organe qui sent, un autre qui réfléchit, un autre qui veut, un autre qui souffre ; je suis tout cela en même temps, et je suis présent à toutes ces opérations ou affections, quoique cependant il ait pas en moi quelqu’un à qui toutes ces opérations soient communes, quelqu’un qui ne soit aucune de ces parties d’organisme, et qui soit averti de ce qui se passe, dans toutes ! Ce quelqu’un, en effet, ce serait un moi qui ne serait aucun organe en particulier, et par conséquent un moi inorganique ; Quand on dit je, on parle de quelqu’un qui, pardonnez une expression bien familière, fait la chouette à toutes les fonctions de la nature humaine. Or, ce quelqu’un est impossible dans l’homme de Cabanis. Des impressions qui se communiquent entre elles, des organes qui agissent les uns sur les autres, sans un médiateur universel qui ait connaissance de tous leurs phénomènes : c’est un système confus qui ne peut rendre raison de lui-même. Vous trouvez obscure l’idée d’un être immatériel ; vous ne comprenez pas comment l’esprit peut être uni au corps ? Moi, je comprends encore moins comment une combinaison de solides, de liquides et de gaz peut concevoir une vérité générale, éprouver un sentiment de crainte ou d’espérance, déterminer un acte de son choix. Voilà qui est d’une impénétrable obscurité. Le sang circule, le cœur bat, l’estomac digère, la pupille se fronce : ce sont des phénomènes singuliers que l’expérience cependant nous force à reconnaître, et qui, après tout, ne sont obscurs que dans leur cause ; car ce sont des faits qui n’ont rien de contradictoire avec les propriétés connues de la matière. Mais qu’il y ait dans de tels phénomènes le type, ou la ressemblance du phénomène d’une grande pensée ou d’un sentiment héroïque, c’est ce qu’il m’est impossible de comprendre et l’on tombe dans l’erreur connue sous le nom d’obscurum per obscurius, quand on veut expliquer par des changemens de forme, de couleur et de place, seuls phénomènes possibles de l’ordre organique, la création de ce qui n’a en soi ni place, ni couleur, ni forme.

Ne sommes-nous pas en droit d’affirmer que c’est sans preuve comme sans vraisemblance que Cabanis ramène la science de l’esprit humain à la physiologie, qu’il n’a pour lui ni l’expérience ni l’évidence, et qu’il n’a donné ni à sa philosophie, ni à sa physiologie, les caractères ou même les apparences de la certitude et de la clarté.

Nous nous sommes laissé aller à une discussion spéciale qui peut-être paraîtra manquer de nouveauté et surtout d’à-propos. On ne professe plus guère, en effet, le matérialisme ; on le supprime en théorie, on le