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plus intérieur. Or, c’est organe intérieur, ou plutôt cette sensibilité même qui réunit dans un point les émotions diverses des sens divers, diffère par là d’un phénomène physique, et dans les instructions qu’elle nous donne sur le monde extérieur, indépendamment de toute affection agréable ou désagréable, elle est, comme perceptive, une faculté de connaissance, qui n’a aucune apparence matérielle, et que nous regardons volontiers comme la traduction de l’ordre intelligent qui règne dans la création.

Quant aux affections morales, quoiqu’elles aussi aient besoin du physique, quoiqu’en général elles proviennent de causes extérieures et s’attachent à des objets sensibles, tout le monde les met à part, ou plutôt au-dessus de toutes les émotions physiques ; nul ne trouve à la douleur de la perte d’un ami la moindre analogie avec la goutte ou la migraine, et ne confond le désir de la gloire, avec la passion des spiritueux. Qui n’oppose sans cesse les mouvemens du cœur à ceux de l’organisation, et malgré la part que prend à nos passions toute notre nature organique, malgré le trouble qu’elles lui causent, qui n’a le sentiment que les passions dites de l’ame agissent sur le corps comme des causes étrangères, comme des puissances qui s’unissent à ce qui n’est pas elles, qui s’approprient les muscles et les nerfs, qui en usent et les détournent du but immédiat de leur organisation, savoir : la conservation de la vie par l’exercice régulier des fonctions ?

Mais si la sensation et l’affection morale intéressent encore le physique, peut-on dire la même chose du raisonner et du vouloir ? La pure raison ne paraît tenir en rien d’un phénomène organique. Lors même qu’elle parait s’exercer sur des sensations, elle les demande à la mémoire, et elle agit d’après ses propres lois, lois abstraites que les philosophes ont démontrées en elles-mêmes, et qui n’ont de matériel que d’être exprimables par des mots. Le raisonnement n’a pas une seule analogie, si fugitive si métaphorique que vous la fassiez, avec un phénomène organique. Il n’y a rien absolument dans vos perceptions de la nature extérieure ou de votre nature organique, qui soit comparable à un pur raisonnement ; il paraît vrai en lui-même et par lui-même, et non parce qu’il est nerveusement perçu et matériellement sécrété par un organe. Personne ne croit naturellement qu’un raisonnement soit une combinaison d’ondulations nerveuses, la raison nous apparaît toujours comme si peu matérielle, que nous la croyons au-dessus des choses, et par conséquent hors des choses. On remarquera que je ne parle encore que de ce qui nous paraît, et non de ce qui est. Cela me suffit en ce moment.