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alimens dans l’estomac, mais des états, fonctions ou modifications de l’organisme. En effet, à moins de tomber dans la réalisation la plus grossière des abstractions les plus évidentes, il faut reconnaître que les objets intérieurs de nos pensées ne sont point des corps individuels comme les objets extérieurs ; ce sont nos pensées mêmes, c’est-à-dire, dans le système où nous raisonnons, des mouvemens vitaux, des mouvemens du corps. Cela est vrai de la sensation la plus simple ; à peine s’est-elle accomplie, qu’elle n’existe plus que par la mémoire, elle est devenue un souvenir. Or, un souvenir, qu’est-ce, sinon un certain froncement de membrane, une certaine vibration de fibre, je ne sais enfin, mais un phénomène organique, et tel souvenir déterminé est tel phénomène organique en particulier, et non tel autre. Ainsi, autant de phénomènes organiques différens que de souvenirs divers ; et ces phénomènes différens, il ne faut pas entendre qu’ils diffèrent seulement quant au temps, quant à leur relation de succession ou, de combinaison avec d’autres, mais, bien qu’ils diffèrent en eux-mêmes, essentiellement. En quoi peuvent différer réellement le souvenir d’un chiffre et celui d’un vers latin, si ce n’est dans l’état physique de l’organe sensitif quand il se souvient ? En quoi peuvent différer une peinture de l’imagination et un argument de la logique, si ce n’est par l’état plus ou moins injecté, plus ou moins irrité, plus ou moins tendu (encore une fois, je l’ignore, et tous les matérialistes l’ignoreront à jamais) de la portion du système nerveux qui imagine ou qui raisonne ? Et telle image ne diffère de telle autre image, tel raisonnement de tel autre raisonnement, que par une circonstance qui, de sa nature, devrait être appréciable à la physiologie, si celle-ci avait des microscopes mille fois plus forts. C’est là une des conséquences nécessaires de la réduction du physique et du moral à un seul, et même principe. La première difficulté de cette doctrine consiste donc dans la diversité prodigieuse d’états organiques dont elle exige la possibilité, pour que les modifications nerveuses correspondent à la variété et au nombre de nos sentimens et de nos pensées.

Une autre difficulté résulte de l’opposition qui existe, ou du moins paraît exister entre les choses morales et les choses physiques.

Considérez, en effet, nos principales facultés, la sensation, par exemple ; elle a, j’en conviens, besoin du physique, au point qu’on est quelquefois près de la prendre pour une faculté physique, et de la confondre avec la fonction des organes des sens. Cependant les naturalistes eux-mêmes centralisent la sensibilité ; ils ne croient pas que ce soit l’œil qui sent les couleurs, ou l’oreille les sons, mais un organe