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toujours cause, et les faits intellectuels ou moraux toujours effets ; c’est le physique qui meut et le moral qui est mu, et comme le corps de l’homme est lui-même sous l’empire des modificateurs externes, la spontanéité, la liberté, l’activité de la personne humaine reste dans l’ombre ou plutôt disparaît. Et c’est ainsi que, sans vouloir peut-être annihiler l’existence propre du moi de la conscience et de la volonté, sans en déclarer du moins l’intention, l’observateur est entraîné à de fortes apparences de matérialisme, et la conclusion implicite de son livre est la négation de l’esprit humain.

Il faut en effet juger l’ouvrage qui nous occupe par les impressions qu’il produit plutôt que par les principes qu’on y trouve. Rien de moins équivoque que le caractère et la tendance du livre ; mais rien de moins distinct et de moins saisissable que la doctrine, si l’on veut l’analyser. Point de système, point de méthode ; pas plus pour les naturalistes que pour les philosophes, ce n’est un traité scientifique, et malgré l’extrait raisonné qu’en a bien voulu faire M. de Tracy, il serait difficile de le soumettre à une déduction régulière. Les propositions générales y sont présentées comme des vues plutôt que comme théorèmes ou des conclusions ; les faits plutôt comme des exemples que comme des preuves, et ces faits allégués et non constatés n’offrent pas ces caractères de détermination et de certitude qu’exigent aujourd’hui les sciences physiques. Cabanis semble parler en homme de lettres instruit plutôt qu’en médecin, et sa manière est celle des écrivains diserts du dernier siècle, non celle des expérimentateurs sévères du nôtre. Il décrit ou raisonne sans rigueur, il paraît citer la science plutôt que la faire. Disons-le hardiment, l’ouvrage n’est pas philosophique. Est-il du moins sérieusement physiologique ? Nous doutons qu’il puisse y prétendre, du moins depuis que la physiologie a reçu en France l’empreinte et la direction que lui imprima le génie de Bichat, et si le livre paraissait aujourd’hui, je ne sais en vérité s’il produirait dans le monde savant une sensation égale à son mérite.

Obligé pourtant d’y recueillir des pensées éparses pour en recomposer une sorte de doctrine, voici ce que j’essaierais de dire, en conservant autant que possible les expressions même de l’auteur.

L’influence du physique sur le moral est telle que la distinction entre l’un et l’autre est nulle quant à l’origine des phénomènes de l’un et de l’autre.

Ce principe est appuyé et éclairci par deux ordres de développemens, l’un qui appartient à la philosophie, l’autre à la physiologie.

Quoiqu’il professe en effet qu’il ne fait point de métaphysique, Cabanis