Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 8.djvu/323

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’est étranger à aucune partie de la science de l’homme, et son esprit, profondément philosophique, est familiarisé avec les recherches du naturaliste comme avec les méditations du métaphysicien. C’est donc en toute confiance que le public doit recevoir de ses mains une vie de Cabanis et un exposé général de sa doctrine, servant d’introduction au Traité des rapports du physique et du moral que le nouvel éditeur éclaircit, complète ou rectifie par des notes importantes, et par les lumières d’une meilleure psychologie, et d’une physiologie plus avancée. A la suite de ce Traité fameux, il a placé cette Lettre sur les causes premières que Cabanis avait laissée inédite, mais qui, imprimée déjà une première fois, est aujourd’hui le complément indispensable de sa doctrine, et qui la rachète de ses plus fâcheuses conséquences en rendant témoignage de l’étendue d’un esprit supérieur à ses ouvrages. Enfin, cette édition, préférable à toutes celles qui l’ont précédée, nous paraît l’expression complète et finale de ce qu’on peut appeler la philosophie de Cabanis.

Avant de la discuter encore une fois à l’aide des savans conseils de M. Peisse, qu’il nous soit permis de dire un mot du philosophe. Nous ne voulons point raconter sa vie, nous ne pourrions que répéter son biographe ou l’affaiblir, et refaire ou transcrire une notice qui mérite d’être lue, tout entière et comme elle est ; mais nous avons à cœur de louer l’homme qu’elle nous fait connaître, un de ces hommes d’élite que l’ingratitude du temps présent voudrait quelquefois oublier, un de ces hommes en qui s’est personnifiée, sous les traits les plus respectables, la pensée de nos pères et de nos frères. Cabanis avait été présenté à Voltaire par Turgot ; il avait serré la main mourante et fermé les yeux de Mirabeau, reçut les adieux suprêmes des girondins proscrits, illustré l’Institut à sa naissance, présidé à la fondation de notre célèbre École de médecine de Paris, et il a rendu le dernier soupir Laromiguière et Tracy. Qui mieux que lui, qui plus fidèlement pourrait, dans l’ordre intellectuel nous représenter la révolution ? Quelle vie a dû plus, fidèlement que la sienne réfléchir dans son cours tous les évènemens et toutes les idées de cette grande époque ? Aussi demeura-t-il religieusement fidèle dans sa conduite et dans la science à l’esprit de son temps ; il en acheva, et, bien mieux, il en pratiqua la philosophie.

Cabanis était un pur libéral. Quoiqu’il soit mort sénateur, il n’aimait point l’empire. Il accueillit avec froideur ses brillantes prémices, et s’il le jugea un moment utile, il ne le crut jamais nécessaire. Il faut le compter dans ce petit nombre d’esprits libres et persévérans qui