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aussi bien qu’aujourd’hui l’antiquité grecque et latine. Nos aïeux se conformaient naïvement à leur poétique, qui avait pour base l’idéalisation, et, au lieu de viser, comme nous, à cette couleur locale qui n’est souvent qu’un mensonge, ils voulaient qu’un héros éveillât au premier coup d’œil l’idée de son caractère moral et de sa fortune. « Il faut, dit l’abbé Dubos, donner toute la vraisemblance possible aux personnages qui représentent l’action : voilà pourquoi on habille aujourd’hui ces personnages de vêtemens imaginés à plaisir. Les habits des actrices sont ce que l’imagination peut inventer de plus riche et de plus majestueux. » En Angleterre, au rapport d’Addison on recommandait à l’acteur chargé de traduire les infortunes d’un monarque de s’offrir au public avec un habit râpé : en revanche, le héros favorisé par le sort se présentait avec un panache si haut, que souvent « il y avait plus loin du sommet de cette parure à son menton que de son menton à la pointe des pieds. » Le costume français, sous le grand règne, était le même pour la tragédie et la haute comédie : habit à l’ancienne mode, tricorne à plume, perruque longue, gants blancs, culotte courte, bas de soie, talons rouges. Les personnages héroïques réservé dans le monde aux plus hauts personnages, éveillait du moins sur la scène une idée de majesté ; mais altéré peu à peu par les bizarreries de la mode et les coquetteries d’artistes, il dégénéra en accoutrement ridicule. Vers 1740, les Romains conservaient les grands cheveux ; de plus, ils les poudraient. Les cuirasses tragiques furent remplacées par des corsets lacés, avec des écharpes en bandoulière. Hommes et femmes prétendaient à la finesse de la taille : les premiers portaient des hanches, c’est-à-dire des paquets de crin qui les élargissaient d’un demi-pied de chaque côté. Les héroïnes traînaient d’énormes paniers qui alourdissaient leur démarche et empêchaient beaucoup de jeux de scène.

Un soir que Gustave Vasa, proscrit et fugitif, sortait des cavernes de la Dalécarlie, en habit de satin bleu, avec des paremens d’hermine, on se prit à sourire, mais bien bas, et avec tout le respect que commandait le beau Dufresne. L’explosion du ridicule éclata un peu plus tard à l’Opéra, une fois qu’on vit Ulysse, long-temps ballotté par la tempête, sortir du sein des flots avec une perruque magnifiquement poudrée. La réforme inévitable fut entreprise par Chassé à l’Opéra, par Lekain et Mlle Clairon à la Comédie-Française. Croirait-on qu’il fallut un demi-siècle et l’influence des plus grands noms pour réduire l’esprit de routine ? Lekain osant supprimer les hanches pour Tancrède,