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individus, le langage muet est ce qu’est la conversation usuelle, incorrect et diffus, terne et indécis. De même à la scène. Les mauvais acteurs, qui n’ont pas le sentiment de l’éloquence muette, étalent une gesticulation babillarde et vagabonde, un bredouillement insupportable de tous les membres. Ils disent tout ce qui leur passe par les bras, et c’est pour cela qu’ils n’ont pas plus de style que n’en pouvaient avoir dans leur dialogue ces anciens improvisateurs qui disaient tout ce qui leur passait par la tête. S’il y a quelque vérité dans ce vieil adage : « La majesté n’a pas de bras, » on peut conclure que les acteurs de notre temps, une dizaine peut-être exceptée, sont les êtres les moins majestueux de la création.

Au théâtre comme dans le monde, la sobriété expressive du geste, ces mouvemens lents, précis et soutenus, qui semblent indiquer l’empire de l’ame sur le corps, sont des marques à peu près certaines de la supériorité. Rester vivant aux yeux du public, tout en observant cette réserve officielle de la bonne compagnie, indiquer le trouble intérieur, et, suivant l’expression de Molé, « laisser deviner ses nerfs » sous les apparences de l’impassibilité, c’est pour l’acteur comique une difficulté extrême. Mlle Contat, dont la vivacité spirituelle n’éclatait pas moins dans ses rapports avec ses collègues qu’en présence du public, se faisait un devoir de guider, d’encourager les débutantes. Une jeune personne a qui elle avait conseillé vingt fois de modérer sa gesticulation désordonnée, lui ayant avoué à une répétition que tous ses efforts pour se contenir étaient inutiles : — Il faut donc avoir recours à un moyen de rigueur, dit la souriante comédienne, et aussitôt, s’étant fait apporter un fil, elle attacha à sa protégée les bras le long du corps, en lui recommandant expressément de ne pas se dégager. Bien plus enchaînée par le respect que par le lien fragile, la débutante s’efforce à grand’peine d’observer la consigne. Son supplice augmente à mesure que la scène, s’échauffe : hors d’elle-même à la fin, elle éclate, le fil casse… « A merveille ! s’écrie Mlle Contat ; voilà le fin mot de la bonne comédie ! Peu ou point de gestes, jusqu’au moment ou la passion fait rompre le fil des convenances » Si la jeune actrice était, comme je l’ai ouï dire, Mlle Mars, on conviendra que jamais leçon n’a été mieux mise à profit. Jamais femme sur aucune scène n’a poussé plus loin la discrétion unie à la franchise des manières, le facile accord de la pensée et de l’action corporelle, la vérité diffuse qui est la grace et qui ravit.

Si l’instinct du geste n’est pas fécondé par une étude approfondie, il est bien difficile de réussir à la scène dans l’art d’écouter. Cette