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passions appliquées aux beaux-arts, publiées il y a dix ans par M. Delestre[1], pourraient être aussi utiles aux comédiens qu’aux peintres. M. Delsarte aîné, très habile professeur de déclamation lyrique, a recueilli de son côté beaucoup de remarques de la plus ingénieuse pénétration, qui trouveront un jour leur place dans le cadre d’un grand ouvrage. Tous ces observateurs ont constaté, avec une lucidité plus ou moins grande, ce fait primordial, que les gestes venant de l’ame, de l’intelligence ou de la sensation corporelle, changent de caractère selon leur origine Mais la classification de Préville n’est pas celle de Engel. Pour simplifier ces notions, mieux vaut ramener les gestes humains à deux espèces, les uns, qu’on peut appeler passionnels, parce qu’ils expriment instinctivement, invariablement un mouvement de l’ame ou une sensation physique, les autres qui sont descriptifs[2] ou intellectuels, parce qu’ils traduisent d’une manière pittoresque ce que l’intelligence a conçu.

Le geste passionnel précède la parole, ou du moins l’accompagne, lorsque la parole elle-même est instinctive comme dans l’exclamation. Le geste descriptif vient au contraire après la parole, pour l’expliquer, pour la compléter. Ce principe fondamental dans l’art de l’acteur a besoin, je le sens, d’être éclairci par un exemple. La passion, je suppose, s’éveille en moi à l’aspect d’une femme que j’aime ; c’est le sentiment qui entre en jeu, et qui s’exprime d’abord par une pantomime instinctive. Mon œil s’enflamme, une aspiration ardente gonfle ma poitrine, toute ma personne s’élance vers l’objet aimé ; mes bras ouverts décrivent un mouvement moelleux et doux comme une caresse ; ces mots m’échappent : Qu’elle est belle ! Dans ce premier cas, vous le voyez, la parole est venue confirmer à mon insu ce que vous avait déjà dit mon geste passionnel. Ai-je vu au contraire une femme dont la beauté me frappe, mais qui néanmoins me laisse indifférent, ce n’est plus mon ame qui sent, c’est mon esprit qui remarque, qui analyse.

  1. Un succès honorable, d’autant plus qu’il est modeste, a récompensé l’auteur. La première édition de ses estimables Études s’est épuisée à petit bruit, et j’apprends qu’une réimpression, vraiment désirée, va paraître.
  2. Cette classification, basée sur l’observation analytique, semble coïncider avec le peu que nous savons de la mimique des anciens. Plutarque dit que, dans l’orchestique, on distinguait trois sortes de gestes 1o le mouvement ou la transition ; 2o la figure ou l’attitude ; 3o la démonstration, l’indication. Les gestes de ce troisième ordre sont assurément descriptifs. Quant à l’expression passionnelle, elle résulte des deux premiers genres, c’est-à-dire qu’elle est produite ou par des poses significatives, comme celles que saisit la statuaire, ou par des mouvemens qui ont une signification précise, comme de secouer la tête en signe de menace.