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plus qu’un jargon barbare et inintelligible. » Il est une remarque que chacun doit avoir faite dans notre théâtre : c’est que les acteurs s’y font d’autant mieux entendre, qu’ils sont plus avancés en âge !

Nous avons eu, en ces derniers temps, des acteurs de vive intelligence et de généreuse ambition. Pourquoi sont-ils restés inférieurs à leurs devanciers ? C’est, je crois, parce qu’ils ont négligé d’acquérir par l’étude un instrument vocal assez riche pour trouver leurs effets principaux dans les nuances du langage. L’acteur qui n’a pas un organe assez souple, assez nourri pour peindre le degré de son émotion par le caractère du son qu’il émet, et obligé de presser son débit pour le passionner, de crier pour ne pas paraître froid. Lorsqu’il a le malheur d’être applaudi, fier de lui-même, il se démène il crie de plus en plus fort, jusqu’au jour où les applaudisseurs eux-mêmes le déclarent pitoyable Ce sont ceux dont le mécanisme vocal est insuffisant qui affirment, en s’appuyant sur les souvenirs laissés par nos plus grands tragédiens, que la poésie dramatique doit être parlée. Il est de la plus grande importance aujourd’hui d’établir la signification véritable de cet axiome. Baron, Lecouvreur, Talma, parlaient, si l’on veut, la tragédie, en ce sens qu’ils conservaient le ton vrai, le mouvement du parlage instinctif, mais ces accens de la nature, ils les épuraient, ils les agrandissaient, ils les trempaient de musique et de poésie. Ils parlaient, en ce sens qu’au lieu de l’ennuyeux ronflement des comédiens écoliers qui écrasent le son pour faire de la force, ils recherchaient une émission de voix facile et franche. Pour éviter cette insupportable psalmodie de voix scande les vers en marquant la césure et en appuyant sur chaque rime, ils ponctuaient, non plus, selon les procédés de la poétique, mais suivant la logique des passions humaines et le jeu naturel des organes. Leur art était un de ceux que la critique est inhabile à définir, et qui consistait dans une certaine manière de fondre les vers sans en altérer la sublime essence, sans en faire, comme on l’a dit, de la prose Talma ne retrouva ce secret qu’a force de tâtonnemens. Pendant quelque temps, vers le commencement du siècle, il parla réellement[1] la tragédie. Il ne résulta de cet essai qu’un débit

  1. Il y eut au siècle dernier un acteur qui, à ce que j’entrevois, parla aussi la tragédie. Ce fut Aufresne qui débuta en 1765 parle rôle d’Auguste. Comme il était d’un bel extérieur et fort intelligent, malgré la tournure systématique de son esprit, il fit sensation. La curiosité excitée par un acteur ressemble beaucoup au succès. Cependant on ne put garder le débutant dont la simplicité exagérée détruisait l’ensemble traditionnel Aufresne alla exploiter son talent dans les cours du Nord.