Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 8.djvu/285

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais John Bull sans ses défauts, c’est-à-dire sans ses rogues préjugés et sa maussade sauvagerie.

La vie de M. Sydney Smith est tout entière dans ses écrits ; depuis le moment où il quitta l’Écosse, elle ne fut traversée d’aucun évènement qui mérite d’être rapporté. L’adoption du bill de réforme a mis fin au rôle politique de la Revue d’Edimbourg, à celui du moins que, trente ans auparavant, lui avaient assigné ses fondateurs. M. Sydney Smith y a cessé dès-lors toute collaboration. Appelé par le comte Grey, son excellent patron, ainsi qu’il le nomme lui-même, un canonicat dans l’église de Saint-Paul, à Londres, il a reçu ainsi la juste récompense de son dévouement généreux à la cause des whig. Depuis cette époque, il n’a guère rompu le silence qu’il semble s’être imposé que dans deux occasions : une fois à propos d’une commission, de réforme ecclésiastique instituée sous l’administration de lord. John Russell, une autre fois pour se moquer, dans le Times, des répudiateurs pensylyaniens (on sait que c’est le nom par lequel les Américains qui refusent de servir les intérêts des dettes des états se désignent eux-mêmes). Dans cette dernière circonstance, M. Sydney Smith s’est livré à un simple jeu d’esprit ; dans l’autre, par un retour singulier des choses d’ici-bas dont il s’est étonné lui-même, il s’est trouvé défendre contre ses propres amis cette église établie à laquelle il avait fait, jadis une si rude guerre. Son plaidoyer porte sur des détails d’innovations intérieures qui sont sans intérêt pour nous, quoique M. Sydney Smith ne s’y soit pas montré médiocrement spirituel. J’en rapporterai pourtant un passage qui concerne l’un des hommes d’état les plus éminens de l’Angleterre, lord John Russell. Peut-être ne sera-t-on pas fâché de savoir comment un critique whig juge le chef actuel du parti : « Il n’y a pas, dit-il, de meilleur homme que lord John Russell ; mais il a un grand défaut, c’est de ne pas connaître la crainte morale. Il n’est rien qu’il ne se fit fort d’entreprendre : il ferait, je crois, l’opération de la pierre ; il s’offrirait à bâtir la basilique de Rome ; il n’hésiterait pas (pourvu qu’on lui donnât dix. minutes pour se préparer, et encore !) à prendre le commandement de la flotte de la Manche, et personne, à le voir ensuite, ne se douterait que le patient est mort, que l’église a croulé, que la flotte a été réduite en atomes. Les intentions de lord John sont toujours pures, ses vues dénotent souvent une grande capacité ; mais il projette sans fin et n’exécute pas avec cette prudence d’allure et d’esprit dont aucun réformateur sage et vertueux ne doit se départir. Il tient sans cesse en alarme les libéraux modérés, et il n’est pas possible de dormir tranquille quand c’est lui qui est de quart. Une autre particularité des Russells, ajouté M Sydney Smith, c’est