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une Grèce indépendante et libre, une Grèce qui échappe au protectorat continental de la Russie comme au protectorat maritime de l’Angleterre, une Grèce qui vive de sa propre vie et qui tienne une bonne place dans le monde. Sur ce terrain, tous les partis, se donnent rendez-vous, toutes les opinions tendent à se confondre. Qu’averti par son double échec, le ministère français ne place donc plus toutes ses espérances sur une base étroite et fragile ; qu’il ne répudie aucun concours, mais qu’il n’aliène au profit d’aucun la liberté de son action ; qu’il n’aille pas jusqu’à dire, comme M. Guizot après la formation du ministère Maurocordato, « que la France soutiendra tout ministère qui aura la majorité dans les chambres, » car une majorité corrompue pourrait enfanter un ministère anti-national ; mais qu’il dise que tous les vrais amis de la Grèce sont les nôtres, et que le parti national, quels que soient ses chefs, aura toujours le droit de compter sur les sympathies de la France et sur son appui. Une telle conduite, un tel langage, seront appréciés en Grèce comme en France, et porteront leurs fruits.

Mais, je le répète une dernière fois, si le présent ne doit pas être sacrifié à l’avenir, il ne faut pas non plus que l’avenir soit oublié, méconnu, négligé. Il ne faut pas que la France, quand l’Angleterre et la Russie veillent, laisse endormir sa prudence et attende passivement, sans but et sans plan, les évènemens qui se préparent. Il ne faut pas que, dans son amour du statu quo, elle ne voie rien au-delà. Il ne faut, pas surtout qu’incertaine et vacillante, elle ait une politique à Athènes, une autre politique à Constantinople, sans qu’elle se mette en peine de les rattacher l’une à l’autre. Avant 1840, aussi, la France a eu en Orient deux pensées, deux tendances, deux langages, l’un à Constantinople, l’autre à Alexandrie, et l’on sait ce qui en est advenu. C’est assez d’une fois. « L’une et l’autre conduite peut se tenir » est, j’en conviens, une maxime commode et, depuis quatre ans surtout, fort en crédit. Cette maxime pourtant a ses inconvéniens, celui entre autres de se laisser toujours surprendre partout, et de n’être jamais en mesure de lutter contre rien. Grace à Dieu et à la fortune de la France, les faiblesses les échecs des dernières années n’ont pu parvenir à nous enlever toute force morale et toute influence en Orient. Le levier existe donc, l’instrument est créé. Il reste à savoir ce que l’on veut en faire et à oser s’en servir.


P. DUVERGIER DE HAURANNE.